Siam avait toujours été fasciné par la capacité de la colonie à faire fuir le mauvais temps. Parfois, les pensionnaires pouvaient apercevoir un nuage de pluie au loin. Et lorsque celui-ci s'approchait du campement des sang-mêlés, il s'en détournait comme par magie - c'était le cas de le dire. C'était un gros avantage, d'ailleurs. Le pavillon-réfectoire, par exemple, n'avait pas de toit : s'il pouvait pleuvoir à la colonie, alors les pensionnaires seraient bien embêtés pour se restaurer. Passons. Ainsi, en cette fin de mois de décembre, il faisait beau. Le soleil brillait au loin, de temps en temps caché par des nuages cotonneux. La température ambiante était fraîche, mais restait agréable. Siam était vêtue d'un simple jean brut, d'un tee-shirt de la colonie et une veste de sport chaude. Comme chaque jour, elle allait parcourir les différentes activités que recelait le camp pour parfaire son entrainement de jeune héros. Son nouveau rôle de chef de bungalow lui donnait un peu plus d'importance, même si elle était déjà assez populaire parmi les siens, avant sa promotion. Siam était orgueilleuse, et condescendante. Elle avait donc avec les autres, une attitude bienveillante teintée d'un sentiment de supériorité, bien caché cependant.

Vers dix heures du matin, elle pénétra dans l'enceinte du stade et fit un bref tour d'horizon. Deux pensionnaires s'affrontaient dans une course de chars en riant, quelques pensionnaires apprenaient à voler sur le dos des pégases de la colonie - en les voyant, Siam fronça le nez, se rappelant lorsqu'elle avait été chargé de nettoyer les écuries - et encore quelques autres s’entraînaient au lancer de javelot. Siam reconnut parmi eux Rain Jeong, une nouvelle pensionnaire, fille de Déméter. Siam s'était occupée d'elle à son arrivée, à la place d'un certain Heatchcliff - un fils d'Arès, tss - dont Rain parlait de temps en temps. Heureusement que Siam avait plus le sens des responsabilités que ce garçon, sinon Rain se serait déjà fait avalé par le mur d'escalade - au mieux. Ainsi, la fille d'Athéna observa de loin Rain qui s'évertuait à lancer son javelot, de façon très maladroite. La pauvre n'avait pas vraiment de facilité - pour rien - mais avait le mérite d'être persévérante : une persévérance à toute épreuve ! Siam admirait cette qualité. Elle s'approcha ensuite de son " élève " - elle la considérait un peu comme tel - qui faisait des efforts visibles, malheureusement non récompensés. Rain finit par lâcher son javelot brutalement, qui faillit lui empaler le pied. Siam haussa un sourcil, tandis que Rain s'approchait d'elle, boudeuse. Elle manqua la percuter, et s'excusa aussitôt : « Oh, Siam... Je suis désolée ». Elle s'inclina respectueusement devant Siam, qui se contenta de dire : « Bonjour Rain », avec un sourire. Il y eut un instant de silence, durant lequel Rain semblait décider si elle devait rester ou non. Finalement, la coréenne s'exclama en riant : « Impossible de faire tourner cette chose correctement. Mais je ne laisse aucun doute sur le fait que dans quelques semaines, je te dépasserais largement ». Rain possédait au moins un sens de l’auto-dérision très développé. Malgré qu'elle n'ait pas de qualités physiques réelles, on ne pouvait pas enlever à Rain ses qualités humaines. Siam la trouvait d'agréable compagnie : elle était assez insouciante et joyeuse, ça lui changeait du sérieux ambiant chez les Athéna.

Siam s'avança pour attraper le javelot de Rain à une main, et de le faire tourner avec application dans ses mains, en regardant la fille de Déméter. « Il suffit d'adopter la bonne position. Et puis, il faut prendre un peu d'élan. Si tu veux que ton javelot trace tout droit, il faut que toi-même tu sois droite : les jambes légèrement fléchies, le buste légèrement de côté ... », expliqua Siam sur un ton très pédagogique en mimant ses paroles. Elle prit un peu d'élan, puis lança son javelot, qui partit s'implanter dans l'herbe à une quinzaine de mètres plus loin. « J'aurais pu faire mieux », ajouta-t-elle avec un sourire en haussant les épaules. Elle se frotta les mains puis s'adressa de nouveau à Rain sur un ton amical : « Alors, comment ça se passe dans ton bungalow ? ». Siam aimait s'assurer que les gens qu'elle appréciait se sentent bien à la colonie.

« Plutôt bien. Même si tout le monde s'évertue à me dire que je devrais être dans le bungalow des Déméter et non des Hermès. Mais être reconnue ne changera pas ma vie, de toute manière », répondit Rain. Siam fit une petite moue. Les Dieux étaient si capricieux ... Ils faisaient ce que bon leur semblait, sans se soucier de rien - même si elle pensait sa mère, Athéna, bien différente de cela - et la plupart ne prenait pas la peine de reconnaître officiellement toute la ribambelle d'enfants à demi-mortels qu'ils avaient engendrés. Cela créé des tensions, des sentiments de rejets très forts chez tout ceux qui croupissaient chez les Hermès sans avoir la certitude de leur ascendance divine. Certains acceptaient la situation - comme Rain -, mais la grande majorité finissaient meurtri à jamais. Siam avait eu la chance d'être reconnue à peine quelques mois après son arrivée. Au bout d'un peu plus de sept mois, un rameau d'olivier était apparu au-dessus de sa tête, alors qu'elle s'essayait au tir à l'arc. « Je suis sure que Déméter finira par te reconnaître. De toutes façons, c'est l'hiver là, elle doit être occupée à visiter Perséphone chez Hadès », expliqua Siam en y mettant beaucoup de convictions. En effet, Déméter était une Déesse surtout active au printemps et en été, les saisons des récoltes. Dès que l'automne pointait son nez, elle se retirait et les feuilles mourraient, s'écrasant au sol dans une longue chute. C'était alors au tour de Perséphone - la fille de Déméter - et de son époux Hadès de préparer la terre, dans les Enfers, afin que la nature renaisse au prochain printemps. Siam allait faire une réflexion à Rain, lui demandant ce que ça faisait d'être la demi-soeur de la Reine des Enfers. Mais sa petite protégée l’entraîna vers les gradins du stade de la colonie avant qu'elle ne puisse sortir un mot. Elles s'assirent côte à côté, et Siam regarda un moment les autres pensionnaires s'exercer sur diverses activités. Elle vit par la même occasion un fils d'Hermès qu'elle connaissait un peu, qui tomba de son pégase, hilare. Elle soupira intérieurement : sacré Hermès ...

« Comment c'était quand tu es arrivée à la colonie ? Avant que... Harmonie ne disparaisse ? », demanda soudainement Rain. « Je veux dire... tu as mis longtemps à être reconnu ? Comment s'est passée ton arrivée ? », poursuivit-elle. Il y eut un court silence, durant lequel Siam chercha ses mots. Elle ne parlait jamais sans réfléchir en amont - ou alors, c'était extrêmement rare. Elle allait répondre, mais Rain la devança une nouvelle fois : « Je pose peut-être trop de questions ...? ». Siam sourit, tandis que la coréenne se redressait subitement, certainement incapable de rester assise un peu plus longtemps. Cela ne fit qu'élargir le sourire de la blonde : ils étaient tous hyperactifs, et ne supportaient donc pas l'inactivité - à part peut-être certains Dionysos flegmatiques et autres Aphrodite préférant vivre au ralenti que de risquer de faire bouger leurs chevelures soyeuses. Siam elle-même était hyperactive, mais elle réussissait la plupart du temps à se contrôler. Enfin, Siam prit la parole d'une voix claire : « Je suppose que peu de choses ont changé, dans le fond. Notre directeur des activités va surement finir par péter un câble, il y a quelques regains de tensions palpables, de l'inquiétude ... Mais à part ça ... De toutes façons, il se passe toujours quelque chose à la colonie, même si je ne te cache pas que la disparition de notre Directrice est un vrai drame. Cela dit, il n'y a rien d'officiel ... ». Elle marqua une pause, pour réfléchir. Elle-même se demandait encore comment elle faisait pour ne pas céder à la panique : peut-être était-ce dans sa nature, au final. Ou alors, commençait-elle à acquérir de la sagesse - cette hypothèse lui faisait plus plaisir. « Moi, quand je suis arrivée, j'avais dix ans. Je viens de Philadelphie, tu vois. Avec mon école, on faisait une sortie au zoo. Un satyre m'a trouvé quelques minutes avant un Chien des enfers. On a réussit à lui échapper - je n'avais même pas une seule égratignure - et on a pris un taxi jusqu'à la colonie. J'ai eu de la chance. On m'a montré le même DVD qu'à toi, puis je suis restée sept mois dans le bungalow des Hermès. J'avais un peu plus d'onze ans quand Athéna m'a reconnu, et ça a été le plus beau jour de ma vie, évidemment. J'étais hyper contente, en plus, je commençais à saturer des farces des Hermès », finit-elle en riant un peu. Siam ne riait pas souvent : elle était plutôt du genre sérieuse, comme fille. Mais des fois, elle se déridait et riait - il lui était même arrivé de partir dans des fous rires incontrôlables, si si je vous assure ... « Enfin tu vois, chacun vit différemment son arrivée à la colonie. Moi par exemple, j'ai du mal à comprendre qu'on puisse détester les Dieux, les haïr même », conclut-elle. Elle eut une pensée pour sa meilleure ennemie, Poppy, qui détestait les Dieux plus que tout au monde. Elle regarda Rain, qui paraissait si insouciante ... Et elle sourit de nouveau.

« Tu avais dix ans ? C'est tellement jeune. Je suppose que je dois être un peu retardée pour arriver à dix-sept ans ! », rigola Rain. Siam haussa les épaules, le regard perdu dans le vide. Elle ne voulait pas, par ce geste, signifiait son désintérêt total de la jeune fille à ses côtés. Elle écoutait avec le plus d'attention possible ce qu'elle lui disait, et y réfléchissait à chaque fois en silence avant de répondre. En haussant les épaules, Siam voulait simplement dire à Rain qu'elle n'était pas forcément d'accord, sans être non plus totalement contre. En fait, elle ne savait pas vraiment ce qui faisait qu'un sang-mêlé soit plus ou moins vite mis en danger, via son odeur si spéciale. Elle ne savait pas si, avoir été amené à la colonie à dix ans plutôt qu'à dix-sept faisait d'elle une sang-mêlée encore plus spéciale. Elle n'en avait pas l'impression, en tout cas. Cela faisait juste qu'elle avait été très tôt habituée à la vie des sang-mêlés, et à leur quotidien si détonnant : entrainement, monstres, apprentissage du grec ancien, cours de mythologie, quête dangereuse, etc ... Siam aimait cette vie, et ne se voyait pas ailleurs qu'à la colonie. Voilà pourquoi elle aimait sa mère, sans la connaitre personnellement : c'était elle qui lui avait permis d'être différente, d'avoir une place à la colonie. De plus, en étudiant toujours plus les mythes relatifs à la Déesse Athéna, Siam se sentait proche d'elle, d'une certaine manière ... Peut-être que les autres ne pouvaient comprendre, mais elle, avait le sentiment inexorable que c'était une relation privilégiée sans l'être. C'était si compliqué ... Ni Siam, ni aucun des sang-mêlés de la colonie ne pourrait jamais avoir une relation normale avec leur parent divin. Vous imaginez, vous, Apollon entretenant une relation fusionnelle avec sa centaine d'enfants ? L'idée faillit presque faire sourire Siam.

« C'est sûrement la seule activité qui me permet de battre les autres à plate couture. Les courses de char aussi sont rentrées dans le palmarès de mes activité favorites », poursuivit Rain en pointant du doigt les pensionnaires s’entraînant à chevaucher les pégases de la colonie. Il y eut un court silence de réflexion, avant que Rain ne reprenne : « Siam... est-ce que des sang-mêlés ont réussi à vivre... en dehors de tout ça ? Est-ce qu'il est possible de... rester normal ? ». Siam se laissa intriguer un moment par la question de sa petite protégée. De prime abord, elle ne sut que répondre : oui, non ? Elle n'en savait rien, au final. Elle n'avait pas vraiment de nouvelles de Katherine, son amie qui avait quitté la colonie après avoir atteint les vingt-deux ans. « Je n'en sais rien », finit-elle par dire, pensive. « Ça te fait peur, l'avenir ? De ne pas pouvoir vivre une vie faite de banalités ? ». Siam fronça les sourcils : elle se demanda si elle-même avait peur de l'avenir. Sans doute non. Elle pensait à ne jamais quitter la colonie, ou alors juste de temps en temps. « J'imagine qu'on peut fonder une famille ... avec d'autres sang-mêlés ? », hasarda-t-elle avant de hausser les épaules. En tout cas, elle ne s'imaginait pas avec un humain. Elle avait besoin de quelqu'un rattaché à son monde, avec qui elle pourrait parler de monstres et de Dieux sans passer pour folle. Elle ne détestait pas les mortels et ne désiraient pas vivre loin d'eux : elle voulait simplement que la personne qui serait la plus proche d'elle soit de son monde et puisse la comprendre. Elle n'était pas sur qu'un mortel en soit capable, mais après tout, qui savait ?

« Non, non. Bien sur que non. C'est juste que... je ne suis pas vraiment sure d'être faite pour cette vie », avait répondu Rain. Elle esquissa un petit sourire triste, et Siam haussa un sourcil. Elle se demandait si sa jeune compagne avait réellement un problème avec la vie qu'elle la menait - ou dans un certain point de vue, qu'on la faisait mener. Après tout, un sang-mêlé n'avait pas vraiment le choix : s'il voulait survivre, il fallait qu'il apprenne à se battre, à reconnaître les monstres, à identifier les divinités et à les connaitre à travers les légendes, pour ne pas les offenser. Celui qui offensait un Dieu ou une Déesse n'irait pas loin dans la vie, pour sur. Mais là n'était pas la question. Siam avait enchaîné, disant à Rain qu'elle pourrait certainement fonder une famille, avec un autre sang-mêlé. En fait, elle n'en savait rien. Parce qu'elle s'en fichait. Elle n'était pas vraiment dans le délire " mariage, couches, biberons et train-train quotidien ". Plus dans le genre " bungalow, monstres, épée et aventures ". Cela dit, elle avait largement le temps de changer d'opinion - même si pour le moment, c'était presque impensable. Cela dit, sa remarque n'eut pas la même impact sur le cerveau de Rain. Cette dernière bondit derrière Siam, lui passa les bras autour du cou et lui dit presque au creux de l'oreille, sur un ton espiègle : « Et toi, Siam... est-ce qu'il y a un garçon qui te plait dans la colonie ? ». Par les Dieux - passez moi l'expression. La question prit totalement Siam de court. Elle ne répondit pas, stupéfaite. Elle n'avait jamais pensé à ça, en fait. Elle était plus tournée vers les monstres que vers les garçons.

Siam se retourna pour faire face à Rain, qui prenait un air totalement innocent - qui ma foi, lui allait si bien ... Impossible de la prendre réellement au sérieux, cela dit. Cela aurait pu s'arrêter là (il y aurait eu un court silence, puis Siam aurait savamment dévié la conversation) mais Rain reprit, toujours sur un ton espiègle d'enfant : « Il y a bien Zayne. Il est sacrément mignon et puis je vous ai vu l'autre jour, vous aviez l'air de bien vous entendre... non ? ». Une nouvelle fois, Siam fut stupéfaite. Zayne ? L'idée la fit éclater de rire - c'était rare ! « Zayne ? Oui il est mignon, mais c'est un ami. Moi tu sais, les histoires d'amour, je laisse ça aux enfants d'Aphrodite ! », répondit-elle en souriant, rejetant la remarque de Rain par un signe de la main désinvolte. En disant cela cependant, elle eut une pensée pour Simphonie : personne ne savait à la colonie s'ils étaient ensemble ou non. Elle repensa également à l'époque où elle n'était qu'une gamine de dix ans, qui tentait de se faire une place dans le bungalow bondé des Hermès. Avec elle, il y avait eu Zayne, et Simphonie. A cette époque là, Siam était amie avec Simphonie, et avait le béguin pour Zayne. Aujourd'hui, Siam détestait Simphonie et Zayne ... eh bien, c'était Zayne quoi. Il était gentil, assez drôle. Il l'aidait à se perfectionner dans l'art du combat, et elle lui filait des tuyaux en grec ancien. Ils se complétaient, d'une certaine manière. Siam était le cerveau, Zayne le corps. C'était plutôt drôle, d'envisager leur relation sous un autre angle.

Siam secoua la tête pour chasser toutes ses pensées, et regarda Rain. Elle lui pinça amicalement la joue puis dit : « Et toi petite Rain, il n'y en a pas un à la colonie que tu puisses trouver à ton goût ? ». Elle sourit. C'était tout naturel pour Siam de renvoyer la pareille à sa petite protégée. Au fond, ça ne l'intéressait pas vraiment. C'était dans son caractère de préférer le grec ancien à l'amour, il ne fallait pas lui en vouloir. Pour elle, c'était tout à fait normal - et tout le monde devrait penser comme elle. C'était l'une des raisons pour laquelle Siam détestait les « Aphrodite ». Ils étaient toujours là, à se pavaner, à se pomponner. Leur seul but dans la vie était de plaire, c'était tout bonnement stupide, non ? Siam, elle, n'en avait que faire de plaire. Elle se coiffait toujours à l'arrache, elle ne se maquillait jamais et ne faisait pas vraiment attention à comment elle s'habillait. Elle préférait les vêtements " pratiques ". Pas question de mettre une robe ou truc du genre. Elle était toujours en jean, en basket et en tee-shirt - avec une veste molletonnée ou un pull pour les jours de fraicheur.

« J'aime bien Heathcliff. S'il n'était pas aussi idiot et méchant, et s'il ne mettait pas une telle ardeur à m'éviter et à me faire tuer, peut-être qu'on pourrait devenir amis. Mais il aurait fallu qu'il soit autre chose qu'un enfant d'Arès pour ça », répondit Rain en toute sincérité. Siam en resta bouche bée un très court instant, avant de reprendre ses esprits. Elle était étonnée que la jeune fille se confesse à elle, de manière si ouverte. Bien sur, elles étaient proches depuis l'arrivée de Rain à la colonie. Mais ça n'avait jamais été de cette manière là, elles ne s'étaient jamais échangées de confidences de ce genre. En tout cas, Rain éclata de rire, comme pour détendre l'atmosphère qui s'était quelque peu figé, à ses paroles. Mais Siam n'était pas dupe - loin de là. Elle savait parfaitement qu'au fond, Rain n'avait pas vraiment envie d'en rire. Peut-être était-elle en train de " tomber amoureuse ". Siam avait toujours trouvé cette expression bizarre. Est-ce que ça faisait mal, d'être amoureuse ? Est-ce que c'était comme tomber les fesses au sol, sur une plaque de verglas bien dur par exemple ? La blonde n'en savait rien, clairement. Elle n'y connaissait rien, en amour. Carrément, elle n'y comprenait rien. Comment voulez-vous y comprendre quelque chose, quand votre naissance n'est même pas le fruit d'un amour ? Le cas de Siam en est un bon exemple. Ses parents ont discuté et hop ! L'esprit d'Athéna a façonné un beau bébé, qui est devenu Siam, descendant de l'Olympe dans un petit panier doré, se déposer sur le pas de la port de Monsieur Lovenbruck. L'arrivée de Siam avait bien faillit tout foutre en l'air dans le couple Lovenbruck : l'homme avait été accusé par sa femme d'adultère, alors que le pauvre n'avait fait que discuter avec une belle jeune femme. Même la Déesse Aphrodite était aux yeux de Siam un mauvais exemple : elle était mariée à Héphaïstos, mais batifolait avec Arès, le Dieu de la guerre. Le père de ce fameux Heathcliff, d'ailleurs. Mais de toutes façons, aucun Olympien n'était fidèle : ils faisaient tous des enfants à droite à gauche, à part Artémis et Héra. Pourtant, ils faisaient tous partis de la même famille. Héra était la soeur de Zeus, et sa femme ... Y'avait vraiment que les Dieux grecs pour mêler autant d'affaires compliquées : famille, mariage, adultère, inceste, etc ... Dans ses conditions, comment croire à l'amour ?

« M'enfin, il y a les enfants d'Athéna pour compenser la méchanceté et l'incompétence de certains », reprit Rain, en tirant la langue à Siam. Celle-ci ne put s'empêcher de sourire, arracher à sa rêverie. Elle aimait beaucoup cette petite. Dès son arrivée, Siam s'était mise en tête de s'occuper d'elle, de la protéger et de la faire progresser. Elle détestait qu'on s'en prenne à Rain, sa nouvelle protégée officielle. Elle ne savait pas pourquoi, au juste, mais elle avait besoin de ça. Quelque part, elle se sentait utile. Siam regarda Rain dévaler les tribunes du stade de la colonie, pour s'approcher du terrain de javelot. La fille d'Athéna l'observa d'un oeil curieux, en se levant - elle ne tenait plus, à rester assise sans bouger. Rain attrapa l'instrument, et reproduisit à la perfection - ou presque - ce que lui avait montré Siam, quelques minutes auparavant. Le javelot tint une trajectoire droite, et se ficha dans le sol à une distance respectable. Rain sauta de joie, hurla, s'attirant les regards hébétés de ses voisins. Siam, elle, applaudit vigoureusement - elle avait vraiment besoin d'occuper ses mains - en souriant franchement. Finalement, Rain revint vers elle et Siam cessa de l'applaudir. « Hm... bref. Tu as vu ? Hein, t'as vuuu ? Les dieux sont avec moi aujourd'hui », s'exclama Rain, visiblement très fière d'elle. « Oh tu sais ... Je suis sure qu'ils te regardaient, de là-haut. Au moins l'un d'entre eux est fier de toi », répondit Siam en serrant la petite main de Rain d'un air solennel, comme si elle allait lui remettre une médaille pour son exploit du jour. « Tu pourras désormais impressionner Heathcliff avec ton lancer de javelot parfait ! En tout cas, y'a du progrès, c'est clair ! T'as essayé d'autres trucs ? Genre le combat au poignard ? Ce serait peut-être plus pratique pour tes bras ... si peu musclés (elle sourit en haussant les épaules). On pourrait demander à un enfant d'Héphaïstos de te forger une épée puissante mais légère aussi, ça pourrait fonctionner ... », poursuivit-elle d'un air pensif. Siam devrait peut-être demander ce service à Zayne, mais elle n'était pas sure qu'il soit un adepte de la forge. En fait, elle n'en savait rien, même si elle s'imaginait qu'il devait y passer quelques heures au moins, en tant que fils du Dieu des forgerons ...

« Tu pourras désormais impressionner Heathcliff avec ton lancer de javelot parfait ! », avait commencé Siam. Puis à Rain de poursuivre : « Ou lui planter dans le dos pendant qu'il se bat avec quelqu'un d'autre ... ». Siam esquissa un sourire, mais ne répondit rien et continua son petit discours : « En tout cas, y'a du progrès, c'est clair ! T'as essayé d'autres trucs ? Genre le combat au poignard ? Ce serait peut-être plus pratique pour tes bras ... si peu musclés. On pourrait demander à un enfant d'Héphaïstos de te forger une épée puissante mais légère aussi, ça pourrait fonctionner ... ». Siam voulait vraiment aider Rain, et le faisait de bon coeur. Elle savait qu'il n'était pas toujours facile de trouver sa place au sein de la colonie, surtout lorsqu'on n'était pas encore reconnu, alors que tout le monde se doutait bien de son parent divin. Rain ne pouvait pas compter sur les enfants de Déméter reconnus - ses présumés frères et soeurs donc - car elle ne faisait pas vraiment parti de leur bungalow - pas encore. Peut-être que si Rain trouvait sa voie, sa mère allait la récompenser en la reconnaissant, pour de bon. Siam serait alors très fière de sa protégée. « Eh bien j'ai tout essayé pour l'instant. Je suis plutôt douée dans tout ce qui demande de l'agilité – excepté le mur d'escalade, l'altitude me fait un peu peur pour l'instant – et de la souplesse. Le soucis dans les combats à l'épée, c'est que pour l'instant je n'ai pu essayer que le schéma du combat direct et assez ... 'musclé'. Je devrais peut-être essayer de me créer mon propre style au lieu d'imiter celui des autres, vu qu'aucun de ces styles ne me correspond. Essayer de tirer profit de ce qui semble être une faiblesse, comme ma petite taille », répondit Rain avec un sourire charmant. Siam y réfléchit un moment : oui, évidemment, c'était le mieux qu'elle pouvait faire. Il était inutile pour Rain de s'évertuer à vouloir se battre comme les " autres ". Après tout, chaque bungalow avait un style différent, et encore, des enfants d'un même Dieu pouvaient trouvé plusieurs moyens de combattre. Ainsi, il y avait une multitudes de possibilités, mais tout n'avait pas été exploité. Il y avait très certainement une technique à inventer, qui conviendrait parfaitement à la fragile Rain. « Faudra que j'essaye ça, la prochaine fois que je viendrais me prendre une raclée face à toi. Quant à l'arme... faudra que je demande à Zayne. ». Siam hocha la tête lentement. « Tu sais, c'est Zayne qui m'a appris à combattre », lâcha-t-elle en se frottant la joue - soit ça la grattait, soit elle avait encore besoin de s'occuper les mains. « Quand je suis arrivée ici, j'étais aussi faible qu'un oisillon. Mais j'étais volontaire et téméraire, comme toi. Si j'y suis arrivée, tu peux y arriver aussi. Il suffit qu'on te trouve une bonne arme qui te convienne, et ensuite un style bien à toi », reprit Siam. Tout en parlant, elle réfléchissait. A plein de choses en même temps, à vrai dire. Heureusement, elle n'était pas ce genre de personne qui s'emmêlait les pinceaux dans ses propres pensées. Elle repensait à son arrivée à la colonie, mais aussi à ses entraînements avec Zayne, son arrivée dans le bungalow d'Athéna. Puis elle pensa également à toutes ces années d'entrainement, qui étaient loin de suffire. Siam aura toujours besoin de perfectionnement. Certes, exposer son plan à Rain était simple : un plan en deux phases. Mais les deux demoiselles devaient savoir que cela demanderait un certain temps, parce qu'on ne trouve pas son style en deux jours, ni en deux mois ... « Tu devrais aller voir Zayne et lui demander de te forger une épée qui te convienne. Voir une lance peut-être ? Je ne sais pas, il s'y connait mieux que moi en armes, il saura te trouver ce qu'il te faut. Et puis on s'entrainera et on trouvera ton style à toi », annonça la fille d'Athéna avec un sourire. Elle se redressa, prête à partir. Pile à ce moment, comme un timing bien rythmé, le son du Cor de chasse retentit au loin. Une nymphe soufflait dedans, appelant les pensionnaires à la table, sous le pavillon réfectoire. « Je dois aller rassembler mon bungalow, Rain, on se voit plus tard ! N'oublie pas d'aller voir Zayne ! ». Puis Siam embrassa son amie sur la joue et s'éloigna en dévalant les tribunes à grande enjambée - en sautant presque.

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