day by day, through the years, make our ways ♦ SIAM&THUNDER (ended)

27 décembre. La neige. Elle tombait, douce, sur la colonie. Mais la neige n'est rien d'autre que de la pluie; or, la pluie, c'est humide, c'est froid. Et Thunder déteste l'humidité et le froid. Il a passé trop de temps dans les rues, près des canalisations nauséabondes pour aimer tout ce qui s'apparente à de l'eau ou à tout ce qui diffère du soleil et de la chaleur. Il aimait les paysages désertiques, la chaleur étouffante des journées d'été, les rayons du soleil éblouissants. Ces nuages grisâtres qui en cachaient la suprématie lui mettait le moral à zéro; il marchait tel une âme en peine dans la colonie qui brûlait d'animation, animation à laquelle il n'avait jamais eu le cœur de participer. Ça aurait été s'intégrer définitivement, être un parfait pensionnaire, être comme eux, entièrement. Ce n'était pas par orgueil ou snobisme qu'il souhaitait se détacher d'eux, mais par rancœur, par dégout de lui même. Ce n'était pas eux qu'il détestait, mais leur nature, sa nature.

Il préféra donc les environs de la plage au cœur de la colonie actif et regorgeant de vie. Thunder n'était pas connu pur sa jovialité, alors que ses demi-frères et sœurs étaient connus pour leur goût de la fête; en somme, même là où il aurait dû trouver des égaux, il était une erreur, une erreur de plus. Sa vie était une succession d'erreurs. Il ne nourrissait guère plus d'espoir sur la nature de l'avenir et sur ce qui l'attendait. Mieux valait ne s'attendre à rien, car tout ce que l'on souhaitait n'était qu'illusions utopiques, qui n'avait pas d'emprises sur la réalité. Mieux valait se résigner au pire et attendre que ce pire se matérialise sous une forme quelconque.

Sur la plage, les vagues venaient lécher la semelle de ses chaussures, qu'il n'ôta pas. L'eau était froide, comme tout autour de lui. Le ressac de l'eau avait un effet apaisant sur l'esprit du jeune homme, qui ferma les yeux, tout en continuant à marcher sans but précis. Instinctivement, sa main se porta à son collier, qu'il n'avait pas quitté depuis ses huit ans. Une goutte de vin, de sang, impossible de savoir, ou de faire la différence. Pourquoi gardait-il ce pendentif qui était l'objet de tellement de cauchemars et ne faisait que raviver en lui des souvenirs douloureux ? Peut-être justement pour ne pas oublier que quoi qu'il ferait, il avait commis d'horribles choses. Il laissa retomber la perle sur son sweet, et la fit passer en dessous du vêtement, contre sa peau. Elle n'avait pas la froideur à laquelle il s'attendait; au contraire, elle était chaude, presque brulante contre son torse. Comme pour le marquer au fer rouge.

Une silhouette se profila au loin. Au fur et à mesure qu'elle se rapprochait, Thunder pouvait la détailler plus précisément. Une silhouette bien proportionnée, des cheveux blonds ondulés, des yeux pleins de calme. A chaque fois qu'il la voyait, Thunder se sentait plein d'une sérénité nouvelle – qui durait rarement, mais qui était tellement inattendue qu'elle n'en était que plus puissante. Peut-être était-ce son aura de fille d'Athéna qui avait cet effet là sur le jeune homme, ou peut-être était-ce le fait qu'elle l'ait libéré, il y avait quelques années de cela. Il se souvenait parfaitement de cette soirée, où elle était venue le voir – comme elle en avait pris l'habitude – et où elle avait commencé à discourir sur la vie d'antan de Thunder. Comment avait-elle su, comment avait-elle appris ? Il ne l'avait jamais su, et avait préféré l'ignorer. Mais ses paroles avaient été d'un tel réconfort que c'était à elle qu'il avait offert ses premiers mots, lui qui s'était tu durant six longues années. « Il fallait vraiment qu'il l'apprécie beaucoup pour lui faire un tel honneur » avaient dit quelques uns, sarcastiques, tandis que d'autres, attendris, avaient assuré qu'ils se lieraient d'une profonde amitié, ou peut-être même plus. Mais l'opinion publique avait-elle vraiment grande importance ?

Il se dirigea vers elle, posant ses yeux calmes sur elle. Un sourire – ils étaient si rares – ourla ses lèvres, tandis qu'il changeait de direction, se plaçant à ses côtés – de manière à ce que son ombre se trouve hors de sa vue.

« Salut Siam. Ça te dérange si je fais un bout de chemin avec toi ? »

C'était toujours elle qui récoltait ses phrases les plus longues et ses conversations les plus structurées – même sur des sujets inutiles. Il jugeait important d'être avec elle le plus normal possible, car sans elle, il savait qu'il serait probablement encore muet, et peut-être qu'il ne serait même plus ici. Oui, Siam avait définitivement une place particulière. Une place qu'aucune autre ne pourrait jamais avoir.

Une feuille, venue d'ailleurs, portée par des vents inconnus, vint se poser sur l'épaule de Siam, et Thunder l'enleva avec délicatesse. Les gestes se faisaient plus naturels, plus aisés, moins guindés. Il semblait qu'il redevenait plus facilement lui, en cet instant.

« J'espère que ce temps va bientôt cesser. La neige... c'est insupportable. Mais pour ça, il faudrait que la quête soit un succès. Espérons le pour nous... et pour eux. »

Eux, c'était bien évidemment les héros qui avaient été envoyés en quête à Chicago afin de retrouver la rose des vents. Les sentiments de Thunder étaient sincères - bien qu'égoïstes, dans le fond. Mais il n'était jamais agréable d'apprendre la mort d'un compagnon au cours d'un voyage. On en ressentait d'autant plus sa propre vulnérabilité.

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Siam pensait à la quête de la rose des vents. Elle s'inquiétait pour ses amis. En fait, elle s'inquiétait surtout pour Rain, qui était la plus fragile des trois. Siam ne comprenait toujours pas pourquoi on l'avait choisi, elle. Rain, la toute nouvelle. La coréenne avait beau avoir dix-sept ans - c'est à dire le même âge que Siam -, tout le monde la prenait pour une enfant. On avait plus envie de la prendre dans ses bras et la câliner que l'envoyer combattre des monstres qui pourraient la dévorer en trente secondes. Elle espérait que Zayne serait apte à la protéger (elle ne connaissait pas l'autre fille, Aliénor), auquel cas elle le tuerait de ses propres mains. Siam, elle, avait tout fait pour aider Rain à progresser dans les domaines du combat. Elle lui avait notamment appris à utiliser un javelot, mais elle n'était pas sure que cela lui soit utile à Chicago. Bref, cela faisait deux jours que les trois sang-mêlés étaient partis et Siam était très inquiète. Cela dit, elle n'en montrait rien. Elle restait impassible, la seule différence était qu'elle cherchait encore plus que d'habitude la solitude. Elle avait arrêter de prendre part à la construction de la tour des Vents, comme la grande majorité des pensionnaires. De toutes façons, celle-ci était quasiment fini et ne requérait plus l'aide intellectuelle du bungalow d'Athéna.

Ainsi, en début d'après-midi, alors que Siam venait de faire l'inspection de son bungalow - qui cela étant, était toujours bien rangé dans ces jours là -, elle décida de se rendre sur la petite plage privé qui appartenait à la colonie. Avec les flocons et le vent glacial qui sévissaient, elle était sure de n'y trouver personne - ou au moins, de ne pas être dérangée. Elle avait besoin d'un peu de calme, de quiétude. Elle aurait pu en trouver dans son propre bungalow, qui était réputé pour son calme divin - au contraire du bungalow d'Arès qui vibrait sous le brouhaha de ses occupants. Mais Siam avait également envie de prendre l'air, quitte à se transformer un glaçon. Peut-être que le froid gèlerait ses idées et l'empêcherait de penser à tout un tas de choses, comme à la quête et aux dangers qu'encouraient ses amis.

Affublée d'un manteau de ski blanc immaculé, d'un bonnet et d'une écharpe en laine, ainsi que de bottes fourrées, Siam traversa la plage. Elle marchait près de l'eau, qui venait lui lécher les pieds. La tête rentrée dans les épaules pour se protéger au maximum du froid, Siam réfléchissait. Cependant, elle était sans cesse déranger par une mèche de cheveux qui venait fouetter son visage régulièrement, poussée par le vent du Nord de Borée. Ses cheveux s'emmêlaient, mais elle n'était pas du genre à s'en soucier, pas comme les filles d'Aphrodite qui faisaient toute une tragédie lorsqu'elle étaient ne serait-ce qu'un tout petit peu décoiffer. En pensant au bungalow de la Déesse de l'Amour, Siam réprima une grimace de dégoût. Elle détestait les enfants de la Déesse, et encore plus leur chef de bungalow, Simphonie Baxter. Surtout depuis qu'elle avait utilisé son pouvoir pour insuffler un désir dans l'esprit de Siam et ainsi la déconcentrer. Elle avait gagné, de manière déloyale. Siam en avait également voulu à Zayne, qui avait été l'investigateur du défi. Mais cela faisait plus d'une semaine, maintenant. Presque tout le monde avait oublié cette histoire, avec l'arrivée de la neige, la nouvelle tour des Vents, la quête, tout ça ...

Siam le vit arriver de loin, et le reconnut presque aussitôt. Thunder. Il l'avait vu, lui aussi, et accourait vers elle. La blonde le laissa venir, sourire aux lèvres. Le garçon était peut-être considéré comme le sang-mêlé le plus bizarre de la colonie, Siam l'aimait ... beaucoup. Elle s'était évertuée à lui parler, alors qu'il se terrait dans le mutisme. Elle lui avait parlé pendant des heures, sans que lui ne dise mot. Puis enfin, il lui avait parlé. Et désormais, ses plus longues phrases étaient pour elle, Siam. Thunder se plaça à côté d'elle, un sourire calme aux lèvres - qui avait parlé d'hyperactivité ? - et lui dit : « Salut Siam. Ça te dérange si je fais un bout de chemin avec toi ? ». Siam hocha la tête sans dire un mot - pour une fois qu'il parlait et elle non ... Ils firent quelques pas, le vent les poussant dans le dos, jusqu'à ce qu'une feuille rescapée de l'hiver rude se pose sur l'épaule de Siam. Elle allait s'en débarrasser elle-même, mais Thunder fut plus rapide et l'enleva d'un geste doux, avec toute la délicatesse dont il était capable. Il n'avait rien d'un garçon brusque, tout n'était que douceur lorsqu'il était avec Siam - cela n'incluait pas lorsqu'ils étaient dans l'arène, où le garçon devenait un vrai maître du combat à l'épée. « J'espère que ce temps va bientôt cesser. La neige... c'est insupportable. Mais pour ça, il faudrait que la quête soit un succès. Espérons le pour nous ... et pour eux », poursuivit le garçon. Siam eut un pincement au coeur, Rain et Zayne lui revenant à l'esprit. Elle revoyait Rain lui tirait la langue, quelques jours plus tôt, lorsqu'elle lui avait demandé si un garçon de la colonie l'attirait. Cette pensée arracha un regard de travers à Thunder, un regard doux et dur à la fois, comme si Siam elle-même ne savait pas quel regard poser sur lui en ce moment. « J'aimerais qu'ils rentrent sains et saufs. Je prie Athéna pour qu'elle veille sur eux, mais je crains que ce ne soit pas très utile ... Ici, le plus énervant, c'est l'attente. Je me demande toujours ce qu'ils sont en train de faire, si ils vont bien. La neige, au fond, ce n'est pas le pire », dit-elle en soupirant. Elle mit les mains dans ses poches, pour les abriter du froid ambiant. Elle tremblait, mais elle ne savait pas si c'était d'inquiétude pour ses amis, ou de froid. « En tout cas, Borée et sa fille ne semble pas vouloir nous lâcher. Borée nous balance le vent glacial, et Chioné nous balance ses flocons ... », reprit-elle en pinçant les lèvres. Lorsqu'on était sang-mêlé, on pouvait trouver une explication pour chaque chose, et rejeter toujours la faute sur quelqu'un. Là, les sang-mêlés pouvaient maudire Borée et sa fille Chioné, Déesse de la neige pour leur insuffler le froid rude de l'hiver dans la colonie.

Spoiler:

« J'aimerais qu'ils rentrent sains et saufs. Je prie Athéna pour qu'elle veille sur eux, mais je crains que ce ne soit pas très utile ... Ici, le plus énervant, c'est l'attente. Je me demande toujours ce qu'ils sont en train de faire, si ils vont bien. La neige, au fond, ce n'est pas le pire »
« Je sais qu'ils s'en sortiront. Il ne peut pas en être autrement, pas vrai ? C'est ce qu'on se dit à chaque fois. Que ça n'arrivera pas. »

Une mine contrite passa sur son visage, et une profonde amertume envahit chacun de ses mots. « Ils risquent d'être blessés, peut-être même de mourir, et on dit peut rien. Eux, ils peuvent. Mais ils ne font jamais rien. » C'est ce qu'il pensait, au fond de lui. Pessimiste, râleur, on l'avait bien souvent décrit comme tel. Lui, préférait se dire qu'il était réaliste; affreusement réaliste. « Ne t'inquiète pas, tout ira bien. Zayne est fort. Aliénor aussi. Ils vont vite trouver cette rose, et rentrer sans une égratignure. » C'est ce qu'il aurait aimé être en mesure de dire. Pouvoir la rassurer, la bercer d'illusions comme tant de héros savaient le faire. Cacher les apparences, dissimuler les peurs. Il en était incapable. La seule chose qu'il pouvait faire, c'était la soutenir, face à ce qui était la pure réalité. A ce qui allait surement vraiment se dérouler. Être là, tout simplement jusqu'au bout... et à jamais.

Son regard tranquille sondait les traits de la fille d'Athéna avec minutie. Ses yeux, calmes, comme d'ordinaire, ne laissaient rien paraître. Les cernes légères qui venaient obscurcir son regard, signes de l'inquiétude qui la rongeait. Ses mains qui s'enfonçaient dans les poches de sa veste. Son nez fin et droit, qui surmontait une bouche rougie par le froid. Il avait toujours observé la jeune femme de la sorte, même dès leurs premières rencontres; insistant, mais infiniment tendre et protecteur. Son regard l'enveloppait comme s'il souhaitait pouvoir lancer un filet autour d'elle. Pour la prévenir des dangers qui rodaient, ou pour la garder pour lui, et lui seul ? Au fil des années, Thunder s'était découvert des instincts étranges, qui lui échappaient. La jalousie. Il n'aimait pas qu'elle aille avec d'autres, sans connaître strictement le lien qui les unissait; il n'aimait pas la voir ravie lorsqu'elle discutait avec quelqu'un d'autres; il n'aimait pas qu'elle soit heureuse quand lui ne l'était pas, ou peut-être était-ce l'inverse: il n'aimait pas être malheureux lorsqu'il lui semblait qu'un seul de ses sourire aurait du lui suffire. C'était bien étrange, la manière qu'il avait de souvent tout ramener à elle, secrètement. Mais durant six ans, son cercle sentimental s'était réduit à elle. Il n'en avait pas vu d'autres, n'en avait pas entendu d'autres. Et lorsque d'autres l'abordait, il ne voulait que le timbre de sa voix, qu'elle, tout simplement. Autodestructeur ? Peut-être bien.

« En tout cas, Borée et sa fille ne semble pas vouloir nous lâcher. Borée nous balance le vent glacial, et Chioné nous balance ses flocons ... »
« Que veux-tu qu'elles fassent d'autre ? Leurs journées doivent-être bien ennuyeuses. »

Le vent se fit plus fort, et plus violent, dans leur dos, comme si elles avaient pu entendre ses paroles – ce qui était surement le cas. Les cheveux de Thunder – coupés récemment, par la force et sous l'influence d'une de ses demi-sœur – étaient humides de neige et soulevés par le vent agressif. Lentement, le vent retomba, ne laissant plus que des flocons de neige en suspension dans les airs, comme s'ils attendaient de trouver une nouvelle victime. De nouveau, il se mit à scanner chacun des gestes de la jeune femme. Et, doucement, ces quelques mots s'échappèrent de sa bouche:

« Est-ce que mon regard te dérange? »

Parfois, il pouvait surprendre par sa colère. Par sa force. Plus rarement par sa résignation. Encore plus rarement par son honnêteté. Il n'avait pas vraiment de limite dans ses questions, porté par un instinct enfantin qu'il ne pouvait contrôler. On ne lui avait pas appris à ne pas poser les questions qui fâchent, à ne pas être indiscret. Si ce côté étrange de la personnalité de Thunder était souvent inconnu des autres c'était parce qu'il ne s'exprimait que lorsque c'était nécessaire. Ici, ce n'était pas le cas. Il aurait pu se taire. Après tout, il était resté muet pendant six ans, et ça n'avait jamais semblé déranger Siam. Mais maintenant, il se demandait si la manière qu'il avait de scruter ses émotions, d'essayer de la comprendre, la dérangeait. Chez les autres – ou du moins chez ceux qui lui étaient assez important pour qu'il ai ce comportement – les réactions étaient souvent excessives. Les filles rougissaient ou s'enfuyaient. Les garçons étaient gênés ou prenaient ça pour un défi. Rares étaient ceux qui supportaient l'examen sans broncher, sans rien dire. Mais Thunder, lui, n'avait pas d'autre moyen d'observer. Il regardait toujours les gens dans les yeux lorsqu'il leur adressait la parole, et il ne détournait jamais le regard. Déstabilisant et agaçant à la fois.

Spoiler:

« Je sais qu'ils s'en sortiront. Il ne peut pas en être autrement, pas vrai ? C'est ce qu'on se dit à chaque fois. Que ça n'arrivera pas ». Siam hocha la tête, cependant non convaincue. Evidemment, Thunder disait cela pour la rassurer - et aussi peut-être pour se rassurer un peu lui-même. En tout cas, il avait bien raison. A chaque fois que des sang-mêlés partaient en quête, les pensionnaires restés à la colonie ne s'inquiétaient pas outre mesure : les quêtes faisaient parti de la vie des héros, c'était quelque chose de normal. Chacun se confortait dans l'idée que rien ne pouvait arriver. Mais si, justement : tout pouvait arriver. Siam était sure que ses amis étaient confrontés au danger, à des monstres assoiffés de vengeance. Elle ne pouvait pas s'empêcher de s'inquiéter pour eux, tout en espérant qu'ils rentrent en un seul morceau. « En tout cas, Borée et sa fille ne semble pas vouloir nous lâcher. Borée nous balance le vent glacial, et Chioné nous balance ses flocons ... », finit par dire Siam pour changer de sujet. « Que veux-tu qu'elles fassent d'autre ? Leurs journées doivent-être bien ennuyeuses », répondit Thunder. Siam prit le temps de réfléchir à ces mots. " Que veux-tu qu'ils fassent d'autre ? ". Parfois, le garçon étonnait Siam par sa clairvoyance. Il était beaucoup plus intelligent qu'il ne le laissait croire. Siam pensait que Thunder cachait tout son être derrière cette pseudo-folie qui le hantait. Les cauchemars qu'ils faisaient la nuit, son pouvoir qu'il n'arrivait pas à contrôler. Siam elle-même avait été " victime " du don de Thunder, mais il avait réussit à se reprendre assez vite. Cela dit, ça l'avait laissé quelque peu sonnée et chancelante.

" Leurs journées doivent-être bien ennuyeuses ", avait dit Thunder. Effectivement. Les Dieux s'ennuyaient, c'était pour cela à l'origine qu'ils avaient créé les hommes : des êtres mortels, qui leur ressemblaient, mais tout de même bourrés de défauts. Des êtres avec qui ils pourraient jouer, qu'ils pourraient se disputer. Des êtres qu'ils pourraient aimer ou détester. Le vent se fit plus fort dans le dos de Siam, qui repoussa une mèche rebelle de devant ses yeux. Cela ne servit à rien, cependant, car la mèche revint d'elle-même violemment, poussée par une bourrasque. Oui, Siam pensait vraiment que Borée, dans son domaine, devait trouver cela amusant. Comme sa fille Chioné, d'ailleurs. « Est-ce que mon regard te dérange ? », demanda soudainement Thunder. Siam se laissa surprendre par la spontanéité du jeune homme, elle qui s'était laissée perdre dans les méandres tortueux de ses pensées. Elle planta ses yeux bleus dans les siens, marrons. Il est vrai que parfois, Thunder la regardait de manière assez étrange. En fait, il avait cette manie de regarder les gens dans les yeux lorsqu'il leur parlait, et de détailler chacun de leurs faits et gestes. Siam avait parfois l'impression de passer au scanner, comme si Thunder pouvait avoir accès, d'un simple regard, au fin fond de ses pensées. C'était parfois inquiétant. Mais également parfois, elle avait aussi l'impression qu'il la couvait du regard. Dans ces moments là, c'était somme si le seul regard de Thunder pouvait la protéger de tout. Dans tout les cas, Siam prenait cela sereinement. Elle n'avait rien à cacher à Thunder, de toutes façons. « En tout cas, ce n'est pas comme ça que tu me feras rougir », répondit-elle, une lueur de malice traversant ses pupilles. Ce n'était pas vraiment une réponse à sa question, mais elle espérait ainsi rassurer Thunder, lui dire sans le dire que son regard ne la dérangeait pas. Sur ce, elle glissa subitement sa main dans celle du garçon. D'ordinaire, Siam n'était pas une jeune fille tactile. D'ailleurs, elle était plutôt pudique et peut-être même une brin " sainte-nitouche ", même si son impassibilité permettait de le cacher, le plus souvent du moins. Siam était ce genre de filles qui en laissait le moins transparaître possible.

Spoiler:

Elle hocha la tête. Pas convaincue, de toute évidence. Mais Thunder n'était pas capable de mieux. Il du se résoudre à changer de sujet, comme elle semblait le souhaiter, mais une fois de plus, il fit preuve d'un réalisme à toute épreuve, qui ne laissait guère de place à l'imagination; pas même à la rancœur, alors que lui même détestait les dieux pour avoir fait de lui ce qu'il était. Mais il ne voulait pas que Siam se laisse aller à la colère. Elle n'était pas faite pour ça. Il le savait, au fond de lui. C'était lui, le haineux. Elle, elle était la fille d'Athéna sage, qui aimait sa mère, et qui était assez intelligente pour savoir que haïr les dieux était sans issue. Lui, était entête, borné, stupide. C'était deux choses bien différentes, et qui ne devaient jamais, au grand jamais, se confondre.

« Est-ce que mon regard te dérange ? » Ses yeux cobalt vinrent sonder les siens.
« En tout cas, ce n'est pas comme ça que tu me feras rougir »

Il sourit, d'un grand sourire amusé qui lui fit plisser les yeux et fit se tendre les muscles de ses joues. Thunder se resservait ce type de sourire pour les grandes occasions. La lueur de malice qui était passée dans les yeux de Siam ne lui avait pas échappé et pourtant, il fut surpris qu'elle prenne sa main. Elle n'était pas le genre de fille qui se laissait approcher si facilement, et encore moins le genre de fille qui faisait le contact rapidement. Et lui n'était pas le genre à se laisser toucher sans protester. Mais Siam... non c'était différent. Il ne la voyait pas comme une fille ordinaire. Et il ne la verrait surement jamais comme tel. Ce fut pour ça qu'il ne dit rien, et entrelaça même leurs doigts, presque malgré lui, dans un élan inconnu qui l'avait soulevé. Son sourire joyeux se transforme en un sourire doux, tandis qu'ils marchaient ensemble, main dans la main. Le vent se leva à nouveau, et vint déranger une mèche de cheveux blonde de Siam; Sans lâcher sa main, Thunder stoppa leur marche, se planta devant elle, et avec une infinie concentration teintée de tendresse, replaça la mèche en dessous du tissu du bonnet, derrière son oreille, puis reprit sa marche comme si de rien n'était. « Comme si », uniquement.

Ils continuèrent à marcher, lentement, sans parler. Thunder sentait les doigts de Siam contre les siens, il sentait sa présence, comme s'ils étaient seulement à quelques centimètres de lui. Ses pensées se mirent à vagabonder, tandis qu'il l'observait en coin. Lentement, cette sensation à l'intérieur de lui même se fit ressentir. Il ne pouvait pas le contenir, il ne voulait pas le contenir. Il avait peur de blesser quelqu'un, Siam, à nouveau, et ses doigts se crispèrent autour de ceux de la jeune fille. Comme à chaque fois qu'une émotion un peu trop forte l'étreignait, il devenait victime de ce pouvoir, de cette malédiction qui rendait les gens autour de lui fous, apeurés, malheureux. Il se souvenait de chacun des regards qu'on lui avait lancé, après ces attaques, et tous étaient perdus, égarés, troublés. Après ce temps d'incompréhension et de confusion, la colère prenait le dessus, ou la tristesse. Il n'avait jamais procuré aucun bonheur à personne. Pourtant, il ne vit pas Siam tressaillir, ou se prendre la tête entre les mains. Peut-être parce que Thunder n'avait aucune image négatif dans l'esprit à cet instant. Peut-être parce qu'il avait trop peur de lui faire du mal, par quelque manière que ce soit. Mais...

Il regarda Siam avec anxiété. Il avait pensé à de nombreuses choses à ce moment là. A ses lèvres. A ses cheveux. A leurs doigts entrelacés. A leurs bras qui s'effleuraient, même à travers leurs épaisses couches de vêtements. Il savait qu'il venait d'insinuer non pas des images apocalyptique dans son esprit, mais des images heureuses. Des images qui n'avaient rien de désagréable, du moins pour lui. Il aurait du lâcher sa main, il le savait. Ces images... ces images le rendait détestable. Il ne devait pas ressentir ces choses. Il aurait du s'éloigner et s'excuser. Mais il resserra au contraire sa prise sur les doigts de la jeune femme. Avec autorité, presque avec violence. Puis il la relâcha brusquement. Il ne s'empourpra pas. Il ne balbutia pas. Il ne pouvait pas se permettre cela, car ce serait passer pour plus vil encore qu'il ne l'était déjà.

« Je suis navré. »

Pourquoi diable avait-elle fait ça ? A peine Siam avait-elle glissée ses doigts dans ceux de Thunder, qu'elle pensait déjà à les retirer. Elle l'aurait fait, si le garçon n'avait pas resserré sa prise sur elle. Leurs doigts étaient désormais étroitement enlacés, et sans un mot, ils poursuivirent leur marche. Siam se demandait à quoi penser Thunder, à ce moment précis. Si leurs mains liés signifiaient quelque chose, pour lui. Quand à Siam, elle était totalement perdue - et cette situation ne lui plaisait guère. Quoi de plus rageant pour un enfant d'Athéna de ne plus contrôler la situation ? Siam essayait pourtant de masquer son désarroi, de rester impassible. Elle se concentrait sur les flocons qui tombaient autour et sur eux, afin de ne penser à rien d'autre. Elle tentait même d'oublier le contact des doigts de Thunder. Mais c'était impossible. Ce lien qu'elle avait formé - c'était elle, après tout, qui lui avait subitement pris la main - lui paraissait au début stupide, mais désormais rassurant. Lorsqu'une nouvelle fois, la mèche blonde de Siam fouetta son visage, Thunder les fit s'arrêter. Il se plaça devant la jeune fille, qui le regarda intensément sans pour autant laisser transparaître un quelconque sentiment. Elle continua de le regarder ainsi tandis qu'il s'appliquait à replacer la mèche sous le bonnet, doucement. Avec tendresse. Cela fit quelque chose à Siam. Elle n'avait pas l'habitude que l'on s'occupe d'elle ainsi. Jamais personne n'avait eu un geste aussi tendre envers elle : même pas ses parents. Sa belle-mère voyait en elle l'enfant de l'adultère et n'avait jamais pu s'occuper d'elle complètement, tandis que son père était plutôt du genre " ours " : moins il avait de contact avec les gens, mieux c'était. Et puis ses demi-frères mortels ... Ils préféraient l'embêter que la câliner. Du moins, quand ils se voyaient encore. Siam eut une brève pensée pour sa famille mortelle, qu'elle n'avait plus revu depuis longtemps. Cela lui manquait, parfois. Lorsqu'ils reprirent leur marche, les pensées de Siam vagabondaient encore. Elle pensait à tout un tas de choses en même temps, et essayaient de repousser toutes pensées ayant trait à Thunder. Elle rejetait l'idée même qu'il puisse y avoir quelque chose de spécial entre eux. Thunder non plus ne parlait pas. Il avait le visage aussi impassible qu'elle, quoiqu'un peu plus serein.

Au bout d'un moment, Siam sentit les doigts de Thunder se crispaient sur les siens. Elle tressaillit une demi-seconde, avant de se rendre compte de ce que faisait Thunder, sans vraiment le vouloir. Une tonne d'images envahissaient l'esprit de Siam en même temps. C'était comme voir un film. Un film dont elle était la principale actrice. Ainsi, elle se voyait elle : blonde, jolie - aux yeux de Thunder. Elle comprit qu'il pensait à elle, à ce qu'elle était, à comment elle était. Il pensait à ses lèvres, au contact de leurs doigts, à la mèche qu'il venait de replacer et à la feuille qu'il avait enlevé. Tout cela s’enchaînait comme une berceuse, douce et sereine. Siam savait que le don de Thunder était double : ils pouvaient autant montrer des images affreuses à ses " victimes ", que des images heureuses. C'était le cas maintenant, et c'était la première fois à la mémoire de Siam que le fils de Dionysos utilisait son pouvoir de cette manière. Elle était sure également qu'il ne l'avait pas fait exprès, car il semblait aussi perdu qu'elle l'était. Il devait avoir compris que pour une fois, il avait montré des images heureuses. Cependant, ce n'était pas n'importe lesquelles. Des images de Siam, vu à travers les yeux de Thunder. La blonde était intelligente, elle avait parfaitement compris de quoi il en retournait. Cependant, elle ne savait pas qu'en penser. Elle se contentait de regarder Thunder, la bouche légèrement entrouverte, les mots coincés dans sa gorge. Il semblait peut-être gêné, et Siam s'attendait à ce qu'il parte en courant - ou presque. Mais au lieu de ça, il resserra son emprise sur elle, sur ses doigts. Très forts, peut-être pour empêcher que Siam se sauve. De toutes façons, elle n'en avait jamais eu l'intention. Puis finalement, il la relâcha. « Je suis navré », dit-il.

Siam le contempla un moment. Elle le détailla, comme si elle le voyait pour la première fois. Ou alors, c'était simplement qu'elle le voyait sous un jour nouveau. Elle avait déjà pensé que Thunder était quelqu'un de spécial, pour elle. Ils avaient d'ailleurs un lien spécial : elle était venue vers lui et lui avait parlé, jusqu'à ce qu'il lui parle en retour. Athéna, sa mère, était Déesse de la sagesse. Siam songea un instant que si elle avait été fille d'Aphrodite, alors elle aurait certainement su quoi faire. Mais elle était fille d'Athéna, la chaste intelligente. Celle que les hommes ne trompent pas. Siam, par hérédité, n'était pas très douée en amour. Non pas qu'elle ait fait le voeu de chasteté comme sa mère, comme Artémis ou comme les chasseresses. Mais elle n'avait jamais pensé aux garçons comme de petits amis potentiels. Plutôt comme des partenaires, des alliés. Ou alors, des personnes à pourfendre - hahaha. En fait, elle était plus obnubilée par les monstres, la mythologie grecque et tout ça, que par les garçons. Elle n'était pas comme les enfants d'Aphrodite : si elle ne plaisait pas, cela ne lui faisait ni chaud ni froid. « Je ... Je ... C'est ... », fut tout ce qu'elle trouva à répondre. Elle fronça le nez - signe de frustration chez elle -, se sentant à ce moment comme la plus idiote des idiotes. Ce genre de situation dépassait ses compétences, tout simplement. Elle ne savait que dire, et cela lui faisait très bizarre, elle qui trouvait toujours les mots. Tout ce qu'elle savait, c'était qu'elle ne voulait pas repousser Thunder.

Spoiler:

« Je suis navré »
« Je ... Je ... C'est ... »

Il aurait pensé qu'elle se serait mise en colère; il ne l'avait que rarement vu dans un tel état, mais il s'était représenté de nombreuses fois la scène dans sa tête, et l'issue en avait toujours été désastreuse pour elle, mortelle pour lui. Il avait si souvent rêvé de cette fois, ou elle l'abandonnerait, ou elle le quitterait, ou il redeviendrait à ses yeux le garçon perturbé et étrange qu'il avait toujours été aux yeux des autres, qu'il lui semblait que cette scène s'était déjà déroulée des milliers de fois. Pourtant, ce moment n'était jamais venu. Elle n'avait jamais cessé de le considérer meilleur qu'il ne l'était, et une fois de plus, Thunder lui en était infiniment reconnaissant. Il avait donc pensé que ce moment fatidique était en train d'arriver, fatal. Pourtant... elle ne fit rien de ce qu'il avait imaginé. Bouche bée, regard abasourdie, elle restait là, à l'observer, comme si ce n'était plus vraiment lui, en face d'elle, mais un autre, qui aurait prit sa place. Il n'avait pas voulu qu'elle voit en lui aussi limpidement. Il n'avait jamais voulu qu'elle découvre l'inavouable, qu'elle découvre que lui, le fils de Dionysos perdu, était désespérément amoureux d'elle, la fille d'Athéna brillante et rayonnante. Ce n'était pas logique, ce n'était pas normal, et ce n'était pas moral. Comme il n'avait pas pu controler les images qui s'étaient envolées de son esprit pour venir se poser sur l'esprit fin de la jeune femme, telle une plume légère et aérienne, il ne pouvait pas contrôler ses crises de folie, ni ses cauchemars, ni sa morosité, ni sa haine. Il n'était fait que pour répandre le mal autour de lui, il le savait. Être avec Siam... l'aurait condamnée, à coup sur. En cet instant, Thunder ne s'était jamais autant reproché d'avoir toujours refusé de contrôler ses pouvoirs.

Il croisa ses bras autour de son torse, comme pour se protéger – alors que c'était elle, qu'il tentait de préserver – et ferma les poings avec plus de force qu'il ne le pensait. Sous sa peau pâle, on pouvait discerner le réseau des veines, dans lesquelles le sang battait furieusement. Il ferma les yeux avec brutalité, un court instant, tentant de reprendre le contrôle de ses émotions. Il savait que toute émotion pouvait libérer le flot de ses pensées et de ses pouvoirs. Il savait aussi que plus rien de positif ne sortirait de lui, désormais. Et il savait d'autant plus qu'il était totalement incapable de contenir ce flot. Il posa un doigts soucieux sur sa tempe – sa veine y battait furieusement.

« Parle moi. Peu importe de quoi. De la pluie, du beau temps, de ton dernier combat. Avant que je ne puisses plus rien contrôler, d'accord ? »

Il n'était pas sur que cela puisse fonctionner, mais c'était toujours mieux que rester ainsi, immobile. Il savait qu'elle comprendrait de quoi il parlait, pour avoir été plusieurs fois victime de ses pouvoirs. Il ne pouvait se permettre de rester ainsi, bras ballants, et d'assister, impuissant, à une souffrance qui lui échappait complètement mais lui était insupportable.

« Ce que tu as vu... oublie le. Ça n'a pas d'importance. Aucune. Je... oublie le. Ce n'est qu'une vulgaire erreur de ma part, rien de plus. »

Mélange de supplication et d'autorité. Le Thunder faible et agité avait refait surface. C'était comme s'il lui demandait silencieusement de ne pas chercher plus avant, de ne pas l'interroger, de ne pas essayer de comprendre, et de croire ses mensonges maladroits. Il prit son médaillon, d'un mouvement compulsif et qui était toujours le même, caressant du bout de l'index la courbe de cette perle carmin, qui pendait à son cou. Il passa la langue sur sa lèvre inférieure, asséchée par le froid, puis passa sa main dans ses cheveux, en ôtant la neige d'un mouvement brusque. Puis, pour reprendre contenance, il enfonça le bonnet de Siam sur ses yeux, faussement joueur et détendu. Mais la lueur amusée qu'il avait voulu donner à son visage n'avait pas pénétré jusque dans ses yeux, et il fut forcé d'abandonner.

Spoiler:

Siam ne savait que dire, que faire. La situation était totalement inédite pour elle. Jamais, ô grand jamais, elle n'avait imaginé que ce moment pouvait arriver. C'est pourquoi elle resta immobile, regardant le visage de Thunder se contractait sous l'effet de plusieurs émotions. Il semblait nerveux. Siam s'en voulait énormément de ne pas savoir quoi lui dire. Elle ne cessa de le regarder, tandis qu'il croisait les bras sur sa poitrine et serrait les poings. Oh non ... Siam connaissait cette attitude qu'il était en train de prendre. C'était celle qui annonçait le genre de crise dont Thunder était victime parfois, lorsqu'une émotion trop forte l'envahissait. Alors, il était victime du don que son père, Dionysos, lui avait offert par la naissance. Visiblement, il faisait un effort considérable pour se contrôler. « Parle moi. Peu importe de quoi. De la pluie, du beau temps, de ton dernier combat. Avant que je ne puisses plus rien contrôler, d'accord ? », finit par dire Thunder, au bord de la crise de nerf. Siam ne répondit rien. Elle aurait aimé dire quelque chose, n'importe quoi, mais rien ne sortait. Elle restait désespérément muette, immobile et la situation avait finit par la rendre nerveuse. Peut-être pas autant que l'était Thunder, mais quand même. Elle aurait voulu parler pour l'aider, elle l'avait déjà fait tant de fois ... Mais cette fois-ci, elle en était incapable. « Ce que tu as vu ... oublie le. Ça n'a pas d'importance. Aucune. Je ... oublie le. Ce n'est qu'une vulgaire erreur de ma part, rien de plus », poursuivit-il. " Une vulgaire erreur de ma part ". Les mots se répercutaient dans le cerveau de Siam. Cette fois, elle savait exactement quoi répondre. Alors, du ton le plus doux dont elle était capable, elle lui dit : « Tu sais bien que ma mère m'a offert une mémoire hors-norme. Je n'oublie rien ». C'était vrai. Siam était dôtée d'une mémoire visuelle et auditive largement supérieure à la moyenne. Alors que la plupart des gens de son âge ne se souvenaient déjà plus de la majorité de leur enfance, Siam avait en tête presque chaque jour de sa vie. Il était très facile pour elle de retrouver un souvenir, rien qu'en y pensant. Son cerveau était comme une banque de données : tout ce qu'elle lisait, tout ce qu'elle voyait et entendait s'enregistrait quelque part et ne s'effacer jamais. Elle ne savait pas si ce " don " avait des limites. Pour l'instant, elle n'en voyait pas le bout.

Thunder semblait faible sur le moment. Siam repensa aux nombreuses heures qu'elle avait passé à lui parler, sans que lui ne lui réponde rien. Au début, il avait eu ce même état de faiblesse, le regard éteint. Puis peu à peu, il avait montré de l'intérêt pour ce que lui racontait Siam, jusqu'au jour où il lui avait enfin répondu. Siam, elle, le regardait avec un tout nouvel intérêt. Elle le regardait toujours lorsqu'il attrapa son pendentif, lorsqu'il s'humecta les lèvres et passa sa main dans ses cheveux pour y ôter d'un geste brusque la neige qui s'y était niché. Puis, il s'approcha d'elle et lui enfonça le bonnet sur les yeux. Siam releva son bonnet sans dire un mot, se contentant d'hausser un sourcil. Finalement, elle retira carrément son bonnet et s'ébroua comme un petit animal : elle secoua ses longs cheveux d'un geste rapide de la tête. Le bonnet lui avait certainement fait les cheveux électriques. Elle était certainement décoiffée, et si une " Aphrodite " passait par là, alors assurément elle en ferait une crise cardiaque. Mais Siam, elle, était naturelle et s'en fichait comme de la dernière pluie. Elle n'était pas du genre à s'embellir : pas le genre à prendre du temps pour se coiffer, pour choisir ses vêtements, pour se maquiller ... Elle ne se maquillait pas, d'ailleurs. Enfin bref, elle ne comprenait pas vraiment pourquoi Thunder essayait désormais de jouer les désinvoltes. Voulait-il vraiment qu'elle oublie ce qu'il lui avait mis dans la tête - inintentionnellement bien sur.

« Parle moi. Peu importe de quoi. De la pluie, du beau temps, de ton dernier combat. Avant que je ne puisses plus rien contrôler, d'accord ? »

Mais elle restait désespérément muette, le laissant en proie à ces pulsions qui faisait battre son cœur plus vite, rendait ses pensées trouble et faisait trembler ses doigts. Il se prit la tête entre les mains, tentant de contenir ce qui semblait un flot invincible d'image. Un raz de marée de puissance qui balayait tout sur son passage, y compris toute sa volonté. C'était plus qu'il ne pouvait en supporter. En face de lui, Siam ôta le bonnet qu'il avait enfoncé sur son crâne, et secoua ses cheveux blonds ondulés. Le soleil, pâle, ne les faisait pas briller comme d'ordinaire, cependant, Thunder ne manqua pas un seul de leur mouvement, même si son regard s'était fait plus distant, plus pâle, tout comme le soleil au dessus d'eux. Siam, elle, ne semblait pas avoir conscience de ce qu'elle pouvait provoquer, de ce qu'elle était vraiment. Elle était insouciante, considérait son apparence physique comme la dernière de ses priorités et ne cherchait jamais à plaire, pas même à lui. Elle n'avait surement jamais du se dire qu'elle pouvait avoir un tant soit peu d'effet sur la gente masculine. Auquel cas, elle n'y accordait pas d'importance. Peut-être avait-elle raison, après tout. L'amour était une chose maudite, sournoise; sa mère s'y était engagée corps et âme. Elle ne vivait que pour et par l'amour du sexe opposé. Eux, s'étaient chargé de réduire son pauvre cœur seulement coupable d'aimer en miette. Ces hommes s'étaient déclaré, chacun leur tour, comme un 'nouveau père', peut-être pour remplacer le réel, celui qui n'était jamais venu aux nouvelles. Mais Thunder n'avait jamais voulu d'eux. Tout comme il ne voulait pas que Siam change, en cet instant;

« Tu sais bien que ma mère m'a offert une mémoire hors-norme. Je n'oublie rien »
« Mon père à moi m'a offert un cadeau empoisonné. Je pourrais te rendre folle, Siam. » Il attrapa les poignets de la jeune femme, avec plus de force qu'il ne l'aurait voulu. « Je pourrais te faire perdre la raison. Instiller en toi les pires images. T'enfoncer pendant plusieurs heures dans d'atroces souffrances, sans pouvoir rien faire. » Il la secoua doucement, une lueur de folie dans les yeux. « Et toi... tu te rappelleras de chaque image avec une exactitude frappante. Mon pouvoir fait du tien une malédiction. Je ne suis pas... je ne suis pas quelqu'un de bien, Siam. »

Son pouvoir commençait à se déclencher par rafales, et il sentit Siam se tendre sous ses doigts. Abysses sombres, enfers crépitants de flammes meurtrières, cris de supplices et hurlements de douleur. Tout cela se succédait, plus vrai que nature, dans l'esprit de la jeune fille, à une vitesse folle. Et Thunder tenait toujours Siam par les épaules, le visage crispé, les traits tendus. Ses doigts s'enfonçaient presque dans la chair de la jeune femme; pourtant, au bout de quelques secondes, le flux des images se ralentit, jusqu'à disparaître lentement. Et aussitôt, lorsqu'il rouvrit les yeux, il ne put que fixer les traits de la jeune femme, avec attention, cherchant le trouble, l'air égaré habituel. Il fit glisser avec une lenteur infinie le bout de son index sur la joue froide de Siam, remit ses mèches blondes électrisées en place, et eut un pauvre sourire d'impuissance. Quelques mots seulement franchirent la barrière engourdie de ses lèvres. Quelques mots, ridicules mais lourds de sens. Quelques mots, qui n'aurait peut-etre pas d'emprise sur elle, mais qui en avaient tellement sur lui.

« Tu n'as pas idée de l'effet que tu peux avoir, Siam. »

Il eut un petit rire nerveux, accompagné d'un sourire amer, attendant patiemment que Siam retrouve ses esprits. Il savait qu'il n'était jamais simple de se remettre de ces attaques qu'il lançait sans cesse, sans aucun contrôle, et elle était une de celles qui s'en remettaient le plus rapidement.

« Tu sais bien que ma mère m'a offert une mémoire hors-norme. Je n'oublie rien ». La réponse de Thunder fut immédiate : « Mon père à moi m'a offert un cadeau empoisonné. Je pourrais te rendre folle, Siam ». Siam secoua la tête négativement, tout de même un peu déçue. Thunder s'était toujours considéré comme un monstre incontrôlable. Elle, le voyait tout autrement. Il attrapa ses poignets, et les serra, jusqu'à faire mal à Siam - peut-être ne le voulait-il pas non plus. « Je pourrais te faire perdre la raison. Instiller en toi les pires images. T'enfoncer pendant plusieurs heures dans d'atroces souffrances, sans pouvoir rien faire ». Siam continuait de secouer la tête, tandis que Thunder la regardait, une lueur folle dans les yeux. Non, elle n'y croyait pas. « Et toi ... tu te rappelleras de chaque image avec une exactitude frappante. Mon pouvoir fait du tien une malédiction. Je ne suis pas... je ne suis pas quelqu'un de bien, Siam », poursuivit-il. Siam aurait bien aimé lui répondre quelque chose d'à la fois rassurant et convaincant, mais Thunder l'en empêcha. Elle ne savait pas si cette fois, il le faisait exprès ou pas. S'il voulait lui prouver ses dires, ou s'il était réellement incontrôlable. Elle penchait plutôt pour la première solution, néanmoins. En tout cas, des images terribles s'insinuaient maintenant dans sa tête. La mort, la peur, la souffrance. Ce genre de sentiments horribles passaient dans son cerveau, sous forme d'images affreuses. Siam tressaillit et se raidit sous l'emprise du pouvoir de Thunder. Il lui tenait les épaules et elle sentait ses doigts faire pression sur sa peau. Oui, il était dangereux. Oui, il pourrait lui faire du mal. Mais malgré cela, Siam lui faisait une totale confiance. " Je ne suis pas quelqu'un de bien, Siam ", avait-il dit. La fille d'Athéna pensait qu'au contraire, Thunder était la meilleure personne qu'elle connaissait, malgré le reste. Malgré son passé, malgré son don.

Finalement, les images cessèrent et Siam releva un peu la tête, légèrement ébranlée. Heureusement, elle arrivait toujours à s'en remettre vite. C'était peut-être dû à son esprit trop tortueux pour être ainsi affaibli. Elle n'en savait trop rien, en fait, et ne voulait pas savoir - pour une fois qu'elle refusait le savoir. Elle regarda Thunder, et Thunder la regarda. Puis, il remonta avec son doigt glacé le long de la joue de Siam, pour finir par replacer quelques mèches blondes derrière les oreilles de la demoiselle. « Tu n'as pas idée de l'effet que tu peux avoir, Siam », finit par dire Thunder, en riant nerveusement. La remarque provoqua un effet bizarre sur la jeune femme, qui pencha légèrement la tête sur le côté, pour regarder Thunder comme s'il était un plan compliqué. Elle était toujours en train de se remettre de ses émotions, mais ça allait déjà mieux. Elle pouvait maintenant se concentrer sur le garçon qui lui faisait face. « Tu n'es pas un monstre, Thunder. Moi, je le sais. Je sais aussi que tu essayes de m'effrayer, mais ça ne marche pas. Je sais que tu peux te contrôler, tu peux y arriver. Je t'aiderai, s'il le faut », répondit-elle. Cette fois-ci, ce fut à son tour de dégager délicatement un flocon qui s'était posé sur la tête de Thunder. Puis elle sourit. Elle était heureuse de pouvoir se rappeler de ce moment précis toute sa vie. Elle prit le temps d'observer Thunder une nouvelle fois, d'observer les alentours. Elle voulait se souvenir de tout, de chaque détail.

Siam attrapa les mains de Thunder et les serra, avant de lui sourire timidement et de lui dire : « Tu ne me ferais pas de mal de toutes façons, pas vrai ? ». Ce n'était pas vraiment une question, mais plutôt une affirmation. A chaque fois qu'il y avait eu un " accident ", Thunder s'était toujours repris. Et puis, Siam n'en était que peu affecté, il lui faisait d'un peu moins d'une minute pour s'en remettre, tandis que d'autres se roulaient par terre en hurlant. Peut-être était-ce dû à une force de caractère qu'elle possédait, quelque chose qui faisait qu'elle était mentalement forte.

Pourquoi hochait-elle la tête ? Pourquoi était-elle convaincue du fait qu'il était bon, qu'il était généreux, gentil, et tout le reste ? Pourquoi se voilait-elle ainsi la face en ce qui le concernait ? Pourquoi elle, qui était si clairvoyante et si intelligente, se bornait-elle à se noyer dans des illusions terribles ? Ne voyait-elle pas, n'entendait-elle pas ? Ne se souvenait-elle pas de ce qu'il avait fait, par le passé ? Elle était pourtant la mieux placée pour connaître ses tourments, ses démons, ceux qui venaient le hanter chaque nuit et parfois même le jour. Elle aurait du savoir qu'il n'était pas si bon que ça. Que bien qu'il soit patient, attentif, et calme, il était dangereux, et que rien de tout ce qu'il pourrait faire, pas même ses meilleures actions, ne pourraient y changer quoi que ce soit; C'était gravé dans sa chair, dans son ascendance, dans ses gènes, et on ne pouvait pas y remédier. À moins de s'appeler Zeus, ou Poséidon.

Ses doigts vinrent caresser la joue de la jeune femme, sans pouvoir vraiment profiter de ce léger contact: le froid avait rendu leurs peaux respectives engourdies et insensible à quelque sensation que ce soit, et il fut réduit à remettre les cheveux emmêlés de Siam derrière une de ses oreilles. Un rire nerveux lui échappa, signe de la tension qui contractait chacun de ses muscles pour contrôler le flux des horreurs qui jaillissaient de son esprit torturé. C'était si peu, et tellement à la fois. Jamais il ne pourrait se rassasier de contacts si légers, et pourtant, il ne lui avait été jamais donné de pouvoir s'approcher si près de la jeune femme. Ils étaient proches, certes, mais ne l'avaient jamais été à ce point, du moins d'un point de vu strictement physique. C'était même une des rare fois ou il était en contact avec quelqu'un, préférant d'ordinaire se tenir à l'écart des corps étrangers. Il essayait d'effacer la douleur diffuse des traits harmonieux de Siam. Peine perdue ou pas, il ne pouvait se résigner à rester totalement stoïque. Pas avec elle. Même si l'espoir ne lui était pas permis, il se devait de se battre, toujours.

« Tu n'es pas un monstre, Thunder. Moi, je le sais. Je sais aussi que tu essayes de m'effrayer, mais ça ne marche pas. Je sais que tu peux te contrôler, tu peux y arriver. Je t'aiderai, s'il le faut »
« Non. Je ne veux pas. Je ne peux pas. Tu le sais très bien. »

Il s'était raidi, comme si une décharge électrique l'avait secoué, et il lâcha les épaules de Siam brusquement, avec froideur, les bras ballants le long de son corps, les poings fermés douloureusement. Il n'avait jamais pu se résoudre à parfaire ses compétence, à rendre son don naturel et puissant un pouvoir contrôlé et volontaire. Non, chez lui, ça se résumait à une impulsion, une manière de se défendre contre lui même; comme s'il avait pu transférer ses peurs chez les autres. Beaucoup de personnes avait dit ça, avait supputé bien des choses. Lui, pensait simplement qu'il était fou, mais ne cherchait pas à redevenir sain. Ne pas être comme eux. Une maxime qui le harcelait constamment. Cependant, lorsqu'il regardait Siam, et qu'il songeait à toutes ces fois ou il avait été l'origine de sa souffrance, il se disait qu'il était lâche. Lâche et stupide. Rien que pour elle, il aurait du parfaire son éducation et devenir plus fort, moins fragile.

Siam secoua la chevelure du jeune homme pour en ôter les flocons qui s'y étaient déposés. Ses mains vinrent cueillir les siennes, et, immobile, Thunder l'observa. Il jeta un coup à leurs mains liées, aux grains de leurs peau qui se mêlaient harmonieusement. Un sourire timide ourla ses lèvres – un sourire qu'il ne lui voyait que trop peu souvent. Le même crispa sa bouche. Ce contact lui était si familier... et si étranger à la fois que s'en était troublant.

« Tu ne me ferais pas de mal de toutes façons, pas vrai ? »
« Jamais. » Il voulait se montrer plus joyeux, et il tenta de rendre son visage souriant. Mais une autre pensée contrecarrait ses plans. « Jamais volontairement du moins. » Il grimaça, honteux. « Mais je deviendrais plus fort. Je te le promets. »

Thunder ne brisait jamais une promesse. Il était intègre et fidèle à ses convictions. Et l'une d'elle était que le mensonge ne réapparaitrait plus jamais en travers de sa vie. Il ne commettrait pas deux fois les même erreurs. Sa mère l'avait payé assez cher pour des milliers de personnes. Siam ne devait pas faire partie des victimes collatérales.

« Non. Je ne veux pas. Je ne peux pas. Tu le sais très bien », répondit-il en relâchant les épaules de Siam. La réponse était claire et nette. Mais encore une fois, la jeune fille secoua négativement la tête. Elle n'y croyait pas, elle ne pouvait y croire. Elle croyait en Thunder, et ce qu'elle savait très bien, c'était qu'il se voilait la face. Lui, pas elle. Il était aveuglé par son passé - qui certes, n'était pas glorieux. Il était aveuglé par ce que les autres pensaient de lui, les ignorants qui le jugeaient sans savoir, sans comprendre. Il s'était isolé de lui-même et avait accentué ce trait de caractère chez lui : le fait qu'il se pense faible et impuissant. Siam serait là pour l'aider, pour sortir la tête de l'eau. Elle lui avait redonné la parole, elle pourrait très bien lui rendre la raison - si tantôt qu'il l'ai perdu. Ça non plus, elle ne le croyait pas. Thunder était loin d'être fou. Il avait toute sa raison, son problème était les choses horribles qui le hantaient dans ses cauchemars. La nuit, le jour. Avec le temps, Thunder pourrait se débarrasser de ses vieux démons. S'il s'en donnait les moyens. Siam voulait absolument être là pour lui, l'aider du mieux qu'elle pouvait. Elle voulait qu'il aille mieux, qu'il se sente enfin bien. Elle voulait, en fait, qu'il soit heureux.

Elle lui prit les mains, et les serra juste assez fort pour ne pas lui faire mal, mais pour lui passer une sorte de message tacite. Elle voulait qu'il comprenne, sans qu'elle le dise, qu'elle tenait à lui. Elle voulait qu'il comprenne également qu'elle serait toujours là, quoiqu'il arrive, parce que c'est ce qu'elle voulait. « Tu ne me ferais pas de mal de toutes façons, pas vrai ? », demanda-t-elle avec un sourire timide, dans un souffle. « Jamais », répondit-il, et elle serra ses mains encore plus fort, peut-être sous le coup de l'émotion. C'était ce qu'elle avait voulu entendre, et il lui avait dit. Un instant, elle se crut dans un rêve. Tout cela lui paraissait, soudainement, irréel. Elle était là, sur la plage, à tenir les mains de Thunder Hamm, l'ancien " muet ". Elle était là à espérer quelque chose sans savoir vraiment quoi. Elle, qui d'ordinaire se faisait si inaccessible. Voilà qu'à présent, elle se jetait corps et âme dans quelque chose de totalement nouveau, dont elle ne maîtrisait encore rien. Et puis, la météo aussi, ajoutait ce côté irréel de la situation. Le vent glacial, de la neige à la colonie. Elle ferma les yeux un bref instant avant de les rouvrir en grand. Réel ou pas réel ? Thunder la ramena sur terre : « Jamais volontairement du moins. Mais je deviendrais plus fort. Je te le promets », fit-il. Il avait grimacé, peut-être parce qu'il ne supportait pas de lui dire ça. De lui dire que même s'il ne le voulait pas, il serait toujours possible qu'il se passe quelque chose, un accident. Et qu'elle souffre, à cause de lui. La raison aurait peut-être poussé Siam à partir, ou à avouer cette éventualité comme possible. Mais la raison n'avait pas sa place dans ce qui était en train de se passer, maintenant. Cela dit, il avait fini par dire qu'il deviendrait plus fort. Il le lui promettait. Siam avait parfaitement confiance. Même, elle lui sourit.

A cet instant précis, elle ne pensait à rien de particulier, à part à Thunder. Elle ne s'inquiétait plus pour ses amis - désolée -, ni pour la colonie. Elle ne s'inquiétait plus de rien, pour le moment. Bien sur, ça reviendrait. Dés que ce moment opportun serait terminé. Cela dit, elle avait envie de tout faire pour que l'instant perdure. Le plus longtemps possible. Car pour une fois, depuis longtemps, elle se sentait réellement bien. Alors, le regard perdu dans les pupilles de Thunder, elle déclara d'une voix lointaine, comme si ce n'était pas vraiment elle qui parlait, mais une voix venant de son subconscient : « Embrasse moi ».

Cette pression qu'elle exerçait sur ses mains avait quelque chose d'infiniment rassurant. Comme un contact avec la réalité, avec ce qui était vrai, qui lui permettait d'effacer ce qui ne l'était pas. Il ressentait dans cette étreinte toute la confiance qu'elle lui accordait, tout les espoirs qu'elle formait en elle, toute l'amitié qu'il lui inspirait. Il savait que dans le regard qu'il lui donnait en retour, il y avait plus que de l'amitié. Il y avait de cela, bien sur, mais lui avait vu plus loin il y avait bien longtemps de ça. Depuis combien de temps avait-il occulté la simple amitié presque fraternelle ? Des mois, des années ? Cela faisait neuf ans qu'il se connaissait et durant tout ce temps, il n'avait jamais pu trouver d'égal à la jeune femme. D'ailleurs, il n'avait jamais pu sortir avec personne. Les candidates avaient été rares durant ces neufs années, mais quelques unes s'étaient laissées toucher par le mélange de force et de vulnérabilité du jeune homme. Mais même elle, il n'avait pu les voir comme il voyait Siam. Il n'avait pas pu les voir tout court. Peut-être que maintenant, il aurait pu être plus réceptif. Autrefois, il n'en avait même pas la possibilité. Mais désormais, il n'avait pas la volonté. Il ne le voulait pas.

Brusquement, quelque chose bascula. Il ignorait quoi, pourquoi comment. Ces questions défilaient dans son esprit à la vitesse de la lumière, mais aucune réponse ne venait. Pourtant, ses sens affutés, et un certain sixième sens que chaque sang mêlé possédait ne lui laissait aucun doute. La lueur dans les yeux de Siam, l'atmosphère qui les enveloppait n'était plus la même. Ce n'était pas désagréable. C'était un mélange d'électricité et d'intense sérénité. Il sentait vaguement que l'instant à venir allait être décisif. Les yeux de Siam dans les siens ne le détrompaient pas. Elle le regardait comme elle ne l'avait jamais regardé, et lui, au contraire, avait toujours ce même regard. Calme. Mais au fond de ses pupilles, le désir, aiguillonné par l'ambiance qui les enveloppait comme une brume humide, perçait, lentement.

Il vit ses lèvres bouger avant de vraiment l'entendre. Les paroles qui s'étaient échappées de sa gorge semblaient tellement invraisemblables de sa part qu'il n'y crut pas tout d'abord. Pourtant, ça ne pouvait être que ça. « Embrasse moi. » Les mots mirent un temps infini avant de pénétrer son cerveau. Il lança un regard incrédule à Siam, creusant dans ses pupilles bleues pour chercher la raison d'un tel revirement. Mais au fond de lui, tout était secoué, et il brulait. Littéralement. Ses mains se mirent à trembler, et lentement, Thunder enveloppa le visage de Siam dans ses paumes froides. Ses yeux passèrent sur ses lèvres rosies, puis à nouveau sur ses prunelles cobalt. Il aurait voulu qu'elle le stoppe. Qu'elle s'en aille brusquement. Qu'elle le retienne. Car lui en était incapable. Il en mourrait d'envie depuis des mois, des années. Les seuls rêves qui ne le réveillaient pas brutalement étaient uniquement peuplées des images de Siam, qui tournaient sans cesse. Mais il ne se réveillait jamais lassé. Il n'était jamais rassasié. Pas même maintenant. Il n'avait jamais embrassé aucune fille. Il n'avait jamais vu de film ou le héros finissait par embrasser l'héroïne. Il n'avait que très rarement lu. Mais aucune appréhension ne l'habitait tandis qu'il baissait la tête vers la sienne. Ses lèvres se posèrent sur les siennes, et ce fut comme deux pièces abandonnées d'un puzzle qui se rejoignaient enfin. Sa paume droite glissa le long de la nuque de Siam, en écartant quelques cheveux éparses. Sa respiration se fit rapidement haletante et saccadée, mais il ne pouvait plus détacher ses lèvres de celles de Siam. Il était dépendant; Affreusement dépendant, comme un nouveau né dépendait de sa mère, comme un aveugle qui retrouve la sensation des rayons du soleil sur ses yeux. Il était atrocement aveugle sans elle. Il avait besoin d'elle, comme il avait besoin d'eau pour rester en vie. Il n'en avait jamais été aussi conscient.

Une de ses mains descendit jusqu'à sa taille, rapprochant son corps du sien. « Ne pars pas, ne pars jamais, ne me laisse pas seul. J'ai terriblement besoin de toi. J'ai besoin de voir tes yeux pétiller. J'ai besoin de sentir ta présence près de moi. Je ne te demande pas de m'offrir ce que j'ai toujours désiré, mais ne me rejette pas. Je ferais ce que tu veux. Je te protégerais. » Il aurait voulu pouvoir dire tout cela; il aurait voulu lui faire prendre connaissance de toute l'étendue de ce qu'il ressentait, sans pouvoir ressentir le moindre remords. Il aurait voulu que cette étreinte ai un goût de commencement, plutôt que de fin. Pourtant, il savait que le lendemain, elle ne le verrait plus jamais pareil, et qu'elle l'éviterait surement. Elle était fille d'Athéna. C'est pour cela qu'il ne pouvait se résoudre à la relâcher, à détacher ses lèvres des siennes. Il l'embrassait comme un désespéré se raccrochant à la vie. Le peu de distance qu'il instaurait entre eux ne servait qu'à reprendre un semblant d'oxygène. La neige tombait sur eux, froide et humide. Mais en cet instant, même la plus poussée des humidités n'aurait pu le déstabiliser. Mais cet instant ne pouvait pas être éternel. Il était là, une main sur sa hanche, l'autre sur sa nuque, et le brasier qui brulait dans ses yeux n'était pas éteint. Il la dévisageait, il la regardait comme il ne l'avait jamais fait. Un désir inextinguible qui se reflétait dans ses prunelles noisettes, et qui le démasquait sans aucune pudeur. Son regard n'était pas insistant, mais léger et aérien; mais nul ne s'y serait trompé.

A cet instant, elle n'était plus sure de rien. De ce qu'elle faisait, de ce qu'elle disait surtout. C'était comme si elle s'abandonnait totalement à l'instant présent. « Embrasse moi », avait-elle dit. Ça lui était apparu si simple, de dire ses deux mots. Comme si, lorsqu'ils avaient franchi ses lèvres, cela avait produit un déclic. Non, ce n'était pas si simple. Elle n'avait jamais dit ça, à personne. Elle ne savait même plus, au juste, pourquoi elle l'avait dit, à lui. Un millier de pensées, pleines de contradictions, lui traversèrent l'esprit, tandis que Thunder lui lançait un regard incrédule. Lui non plus, ne semblait pas y croire. Pourtant, il se ressaisit. Et Siam cessa de respirer, lorsque le garçon posa des mains tremblantes sur ses joues. Son visage était si près ... Elle pouvait sentir le souffle chaud sur sa peau, tranchant avec la fraîcheur ambiante. Puis, doucement, lentement, il vint mettre l'une de ses paumes derrière la nuque de Siam, pour l'approcher de lui un peu plus. Siam attendait, frémissante, égarée. Elle ne savait pas ce qui l'attendait - enfin si, mais pas vraiment. Elle n'avait jamais embrassé personne. Elle n'avait jamais pensé qu'on l'embrasserait un jour, d'ailleurs. Voilà pourquoi lorsqu'enfin il pencha la tête vers elle, elle tremblait. D'appréhension, d'excitation aussi. Pour elle, c'était tout nouveau. Peut-être que Thunder avait voulu ça depuis longtemps, sans jamais oser. Mais elle ... Ça ne lui était venu que maintenant. Pourquoi maintenant ? Elle n'en savait rien, au juste. Peut-être que ce sentiment qui l'habitait avait été long à naître, et qu'il venait juste d'exploser, aujourd'hui. Peut-être qu'elle aussi, avait voulu ça, un peu avant. Pas autant que Thunder, peut-être. Mais elle pensait cela impossible que l'impulsion lui soit venue si subitement.

Les lèvres de Thunder étaient douces et glacées - maudit soit Borée et sa fille. Mais cela ne changeait rien : le contact était bel et bien agréable. Plus qu'elle ne l'aurait pensé. Siam était sure que, s'ils avaient été dans un film, alors un feu d'artifices ou un truc du genre aurait éclaté derrière eux, au loin dans l'océan. Le moment lui semblait magique, en tout cas. Pourquoi s'arrêter ? Elle n'en avait pas envie, et Thunder ne semblait pas vouloir se détacher d'elle non plus. Même, il laissa glisser son autre main jusqu'à la hanche de Siam, et il l'attira encore plus à lui. Siam ressentait tellement de choses sur lesquelles elle ne pouvait mettre de mots ... Lorsque quelque chose ne dépendait pas de la science, alors la demoiselle était perdue. Mais ça ... était-ce de l'amour ? Était-ce cela qu'elle ressentait, à ce moment précis ? Elle n'en savait rien, au juste. En tout cas, si ce n'était pas ça, ça s'en rapprochait dangereusement. Elle qui avait si longtemps considéré les sentiments amoureux comme un fléau de l'humanité ... Voilà qu'elle tombait dedans, comme on tombe d'une chaise. C'était extrêmement bizarre. Et le baiser perdurait. Le contact s'éternisait. Mais il devrait finir, à un moment ou à un autre. Peut-être que sa raison reviendrait, après. Mais pour le moment, elle ne pensait qu'aux lèvres de Thunder contre les siennes. Elle ne pensait qu'au contact de sa main sur sa nuque, et de l'autre sur sa taille. Siam était restée jusque là immobile, malgré quelques tremblements. Mais maintenant, elle avait elle aussi envie de le toucher. Elle s'accrocha au cou de Thunder, comme les actrices de comédie romantique. Mais Siam ne se sentait pas de cette trempe là. Elle n'était pas aussi démonstrative, d'habitude. Elle dévisagea un moment Thunder, qui la regardait aussi, tandis que leurs lèvres ne se séparaient plus.

Puis subitement, Siam rompit le contact. Elle dégagea ses lèvres mais ne s'éloigna pas pour autant de Thunder. Elle avait moins froid, à présent. Comme si la simple présence du fils de Dionysos à ses côtés pouvait la réchauffer. Peut-être avait-elle envie d'un nouveau baiser. Mais elle ne le montra pas, et ne fit rien pour retrouver les lèvres de Thunder. Siam pensa à sa mère, qui avait fait serment de ne jamais connaître l'amour. Si auparavant, elle aurait pu comprendre, maintenant, elle ne savait plus. Elle se sentait même quelque peu étourdie. Elle ne savait pas quoi dire. Elle ouvrit la bouche comme pour parler, mais la referma aussitôt. Une brise glaciale sur son visage la fit fermer les yeux un bref instant. Et lorsqu'elle les rouvrit, son regard chercha aussitôt celui de Thunder.

Spoiler:

Le contact fut rompu aussi vite qu'il avait été établi. Le cœur bondissait dans la poitrine de Thunder, aussi vite qu'après une course folle. Mais ce n'était pas une course folle qui l'avait mit dans cet état là. Un baiser. Un simple baiser. Un simple baiser, mais pas avec n'importe qui. Il du fermer les yeux violemment pour être sur de ne pas rêver. Mais l'arôme des lèvres de Siam était toujours présent sur les siennes, et les mains de la jeune femme étaient toujours enroulées autour de sa nuque. Il serra un peu plus fort Siam contre lui, comme pour s'assurer de la réalité de ce qui s'étaient déroulé il y avait quelques secondes; Mais elle était bien là. Il sentait toujours ses cheveux soyeux contre ses doigts, il sentait son souffle chaud qui effleurait sa peau. Elle aussi semblait perdue, égarée. Elle ouvrit la bouche pour parler, mais aucun son ne s'en échappa, et elle ferma les yeux pour se protéger d'une rafale de vent. Lorsqu'elle les rouvrit, elle le regardait. Il essayait de déchiffrer tout ce qu'il pouvait lire dans ces yeux, tout ce qui y était dissimulé et ne voulait pas être dévoilé. Mais il ne vit rien. Elle restait fermée à toute tentative d'investigation. Mais il ne pouvait pas lui en vouloir. C'était dans sa nature, ça faisait parti d'elle. Peut-être ne l'aurait-il pas autant aimé si elle n'avait pas été si dure à déchiffrer. La main posée sur sa nuque vint se poser sur sa joue, et en caressa lentement la courbe, revenant souvent sur son chemin. Son doigt vint doucement caresser la lèvre inférieure de Siam, et son visage se fit songeur et réfléchi.

« Athéna risque de me haïr. »

Thunder n'avait aucune idée de ce que pouvait bien faire la déesse en cet instant même. Peut-être les observait-elle, avec bienveillance ou avec colère. Il savait qu'Athéna avait fait serment de chasteté, mais il ignorait ce qu'il en était de ses enfants. Devaient-il, à son instar, être aussi purs que des nouveaux nés ? Il en doutait. Mais les dieux étaient parfois imprévisibles, et souvent égoïstes; Il n'aurait pas été étonné de découvrir un artifices divin venir le réduire en cendre à l'instant même. Cependant, il n'en fut rien. Il en déduit qu'il avait le droit de reproduire l'expérience. Quant à savoir s'il en aurait le courage... Il prit une mèche de ses cheveux blonds entre ses doigts, un demi sourire aux lèvres, empreint de calme mais aussi d'appréhension. Un étrange mélange qui semait le doute en lui. Mais lentement, l'appréhension laissait place à un calme total. Il savait ce qu'il allait dire. Il savait ce qu'il allait faire. Et ça suffisait à effacer toutes ses craintes. Il avait mal; là, dans la poitrine. Une douleur grandissante à l'idée de ce qu'il allait faire. Mais c'était ce qu'il fallait; c'était la meilleure alternative. Sa souffrance ne lui était pas étrangère, et il savait s'en accommoder, par habitude. Mieux valait donc qu'il souffre, à sa place. Il ne savait pas quelle était la nature de ses sentiments à elle. Cependant, il doutait qu'elle se soit laissée ainsi approcher par quelqu'un qu'elle n'appréciait pas grandement; Il y avait anguille sous roche, forcément. Mieux valait endormir le volcan avant que l'éruption de surgisse, meurtrière.

« Siam... » Il y eut un bref silence. « Ne te fait pas de mal. Sois raisonnable. Moi je ne le suis pas – je ne le serais jamais, surtout en ta présence – mais toi... »

Il la serra contre lui. Tout contre lui. Une simple étreinte. Sans fard ni artifice. Une étreinte de celles qui montrent un amour sans tache. Une étreinte qui veut tout dire, sans aucun mot. Ses bras entouraient le corps de la jeune femme, comme un rempart face aux vents qui les malmenait. Son rempart. Face aux peurs, face aux doutes, face aux dangers. Un rempart, pas très sophistiqué, pas très élaboré, mais qui avait déjà supporté vents et marées durant de nombreuses années. Il y avait quelques fissures, ça et là. Le lichen avait commencé à pousser entre les pierres, à quelques endroits. Mais c'était un vieux rempart, qui avait déjà fait ses preuves, et qui n'était pas prêt de s'effondrer. Voilà ce que serait Thunder. Un mur, pour la protéger. Un mur, qui annihile la souffrance et l'absorbe à la place de sa cible. Il aurait dû avoir peur, peut-être. Mais c'était pour elle. Alors la peur n'avait pas d'emprise sur lui.

Il reprit le bonnet que Siam avait ôté, et le remit avec douceur sur les cheveux éparpillés de la jeune femme, avec un soin tout particulier. Un sourire calme ourlait ses lèvres. De nouveaux, des pensées diverses jaillissaient de son esprit. Il n'était pas vraiment sûr de contrôler ce flux d'images, toujours est-il que cette fois, il ne se rebella pas. Il voulait qu'elle sache ce que ce baiser représentait pour lui. Il voulait, malgré le fait qu'elle devait passer outre, qu'elle n'oublie jamais cette image. Parce que lui, il le savait, il ne l'oublierait jamais.

Spoiler:

Siam voyait que Thunder essayait de déchiffrer ses pensées, de voir ce qu'elle ressentait. Mais elle ne laissait rien transparaître. Parce qu'elle était comme ça. Siam se demanda si c'était sa mère, qui l'avait voulu ainsi. Après tout, la Déesse de la sagesse avait fait voeu de chasteté, alors sa progéniture naissait de ses pensées. Il suffisait à Athéna de parler avec un homme pour engendrer un enfant. Le concept était assez compliqué à saisir. Siam se prit à s'imaginer comme sa mère : il lui suffirait de parler avec Thunder pour concevoir un enfant de lui. L'idée la fit rouler des yeux. Étrange, vraiment étrange. En attendant, les deux sang-mêlés ne s'étaient pas quittés. Siam avait toujours les bras autour de la nuque de Thunder, et lui avait toujours une main sur sa nuque, une main sur sa hanche. D'ailleurs, le garçon bougea sa main - celle qui se trouvait sur la nuque de la demoiselle - pour la poser sur la joue de Siam, qui pencha la tête pour l'appuyer sur la main de Thunder. Il lui caressa avec douceur la joue, avant d'effleurer avec son doigt la lèvre inférieur de Siam. « Athéna risque de me haïr », finit par déclarer Thunder. Il n'y avait aucune ironie dans sa voix, ce n'était donc pas une sorte de blague pour détendre l'atmosphère. Mais cela arracha un sourire amusé à Siam. Elle était d'autant plus amusée que Thunder avait la tête de quelqu'un qui attendait la sentence. A part recevoir une branche d'olivier sur la tête, Siam ne voyait pas ce qu'il craignait. Il y eut un bref silence, et Siam aurait aimé lui répliquer un truc du genre " Je crois que tu ne crains rien, ma mère doit savoir que je suis heureuse ". Mais elle n'en fit rien, car Thunder reprit la parole. Cette fois, Siam vit comme un voile passé dans les yeux de Thunder, et cela l'inquiéta un bref instant. « Siam ... », commença-t-il, et Siam ne put s'empêcher d'hausser un sourcil. Elle ne s'attendait vraiment pas à ce qui allait suivre. « Ne te fais pas de mal. Sois raisonnable. Moi je ne le suis pas – je ne le serai jamais, surtout en ta présence – mais toi ... », finit-il. Ce fut Siam qui eut l'impression de recevoir une branche d'olivier sur la tête. Elle ne savait même pas comment réagir. Il insinuait qu'il était incapable de contrôler ses sentiments pour elle, mais qu'elle, le pouvait. Evidemment, elle était la fille de la Sagesse, elle pouvait accéder facilement à la voie de la raison. Mais ... Et si elle n'en avait pas envie ? Si, pour une fois, elle se détachait de sa réputation de " puits de sagesse ", de " modèle ". Thunder la serra tout de même contre lui, fort. Siam ne put même pas lui rendre son étreinte, tellement elle était étonnée.

Finalement, il la relâcha et Siam s'écarta de lui, le dévisageant étrangement. Elle avait encore du mal à saisir, à se faire à l'idée que tout ce qu'elle avait dans la tête - l'étreinte, le baiser - était bel et bien arrivé. Elle le regardait toujours, lorsqu'il lui remit son bonnet sur la tête, avec une infinie délicatesse. « Ce ne serait pas raisonnable ? Qu'est-ce qui ne serait pas raisonnable ? », finit-elle par dire, en fronçant les sourcils. Elle était légèrement sur les nerfs, maintenant. C'était certainement dû à une accumulation de plusieurs facteurs. Et puis, son hyperactivité avait toujours eu pour effet, sur elle, d'exacerber ses réactions. Ainsi, elle avait certainement à cet instant une réaction disproportionnée. Elle serra les dents, et les poings. Puis reprit, une teinte de désespoir dans la voix : « Ça parait si invraisemblable que je puisse ... je ne sais pas moi, m'écarter du chemin de la raison ? Ce n'est pas parce que je suis la fille d'Athéna que je suis l'incarnation de la sagesse et de la vertu. Toi, t'es fils de Dionysos et ça fait pas de toi un alcoolique ! Et puis ... Et puis ... en quoi ce serait déraisonnable ? Dis-le moi ! ». Elle avait presque crié. Elle avait haussé le ton, parce qu'au fur et à mesure que les mots franchissaient ses lèvres, elle se rendait compte que ça l'énervait. Et en plus, ça l'énervait de s'énerver. On pouvait assimiler cet instant précis à l'un des rares moments de faiblesse de Siam Lovenbruck, conseillère en chef du bungalow d'Athéna, digne représentante de sa mère sur Terre - ou pas. Limite, elle aurait aimé se laisser tomber dans la neige et ne plus rien faire, ni entendre, ni penser. Au lieu de ça, elle se contenta de baisser la tête, se calmant peu à peu. Pour finir par murmurer : « Je crois que j'ai besoin de toi »

« Ce ne serait pas raisonnable ? Qu'est-ce qui ne serait pas raisonnable ? »

« Tout. » Mais il ne put prononcer cet unique mot. Il avait la bouche ouverte, stupéfait par tant de colère de la part de Siam. Ce n'était pas dans ses habitudes. Ça chamboulait tout. Elle n'était pas censée s'impliquer autant dans ce qui... dans quoi, exactement ? Une relation ? L'idée de penser à Siam en tant que petite amie semblait saugrenue à Thunder. Il s'était imaginé avec elle, mais maintenant que tout ça s'était déroulé... l'idée lui semblait étrange. Ils ne pourraient décemment pas avoir une relation normale, ils n'étaient pas fait pour ça. Ils n'étaient pas normaux. Siam, elle, commençait à se tendre comme si elle était sur le point d'exploser. Toute la douceur du monde n'aurait pu y changer quoi que ce soit. Pas même de la part de Thunder. Il assistait, impuissant, à ce déballage de colère. Colère qui le blessait autant qu'elle le flattait. Il n'imaginait pas qu'elle tenait tant à lui.

« Ça parait si invraisemblable que je puisse ... je ne sais pas moi, m'écarter du chemin de la raison ? Ce n'est pas parce que je suis la fille d'Athéna que je suis l'incarnation de la sagesse et de la vertu. Toi, t'es fils de Dionysos et ça fait pas de toi un alcoolique ! Et puis ... Et puis ... en quoi ce serait déraisonnable ? Dis-le moi ! »
« Ce serait déraisonnable en tout ! » Il avait élevé malgré lui la voix. « Franchement, Siam, tu t'imagines, avec moi ? Tu imagines une vie avec moi ? Je n'ai rien de ce qui peut te rendre heureuse. Je suis instable, dangereux, et... désespérément amoureux de toi. Tu entends ?! Désespérément. Ce n'est pas quelque chose de rationnel qui peut se vivre dans la vraie vie. Ce n'est... ce n'est même pas sain ! » Son discours devenait décousu, influencé par l'émotion qui grimpait dans sa voix, mélange de colère et d'égarement. « Le vin n'est qu'une des nombreuses formes d'ivresse, Siam. Et l'ivresse... ce n'est pas quelque chose de correct. »

Ils criaient tout deux. Leurs hurlements étaient atténués par l'humidité de la plage, mais le silence qui les entourait rendait tout plus intense, plus violent. Il lui semblait qu'ils étaient seuls, à des kilomètres à la ronde, alors que la colonie était toute proche: les pensionnaires auraient presque pu les entendre si le ressac de l'océan n'avait pas quelque peu couvert leurs voix. Cependant, la dernière phrase de Thunder avait été chuchotée, et ses derniers mots s'étaient brisés dans sa gorge. Siam, elle aussi avait baissé la tête, et ses quelques mots s'échappèrent avec difficulté de la barrière de ses lèvres.

« Je crois que j'ai besoin de toi »

Thunder resta immobile un long instant. Partagé entre la surprise, le bonheur, et la souffrance. Il ne savait pas quoi répondre à cela. Lui hurler dessus, lui dire que c'était vain ? Elle se serait braquée et aurait asséné des arguments plus logiques les uns que les autres; S'en aller ? Il n'en avait pas la force ni la volonté. L'embrasser ? Il en mourrait d'envie, mais ça aurait été signer leur arrêt de mort à tous les deux. Mais finalement, la solution s'imposa à lui, comme une évidence. Elle avait besoin de lui ? Ne s'était-il pas juré d'être toujours là pour elle, quelles que soient les circonstances ? Ce besoin, en soit n'était pas un problème; Il pouvait répondre à cela sans risquer le pire.

« Mais je serais toujours là pour toi, Siam. Comme je l'ai toujours été, et comme tu l'as été pour moi. Et ça... ça ne changera jamais. Tu le sais. Tu l'as toujours su, n'est-ce pas ? »

Il posa un regard attendri sur la jeune femme. Elle lui semblait si belle, même dans sa faiblesse. Il aurait aimé se dire que tout ceci – ses yeux bleus clairs, ses cheveux d'un blond éclatant qui brillaient même par ce temps maussade, la courbe de ses lèvres roses, la ligne arrondie de son menton – lui appartenait. Qu'il en était le seul et unique propriétaire et que nul autre ne pourrait jamais se saisir d'elle comme il venait de le faire. Il aurait aimé pouvoir se dire avec certitude qu'il avait été le premier et serait le dernier. Qu'il avait laissé sur sa bouche une empreinte que personne ne prendrait le risque de remplacer par une autre.

Spoiler:

« Ça parait si invraisemblable que je puisse ... je ne sais pas moi, m'écarter du chemin de la raison ? Ce n'est pas parce que je suis la fille d'Athéna que je suis l'incarnation de la sagesse et de la vertu. Toi, t'es fils de Dionysos et ça fait pas de toi un alcoolique ! Et puis ... Et puis ... en quoi ce serait déraisonnable ? Dis-le moi ! ». L'expression " péter un plomb " aurait été parfaite pour décrire la situation actuelle de Siam. Elle qui, d'ordinaire, était si calme. Si sereine, si impassible. Voilà que ses émotions éclataient au grand jour, comme une vitre sous pression. « Ce serait déraisonnable en tout ! Franchement, Siam, tu t'imagines, avec moi ? Tu imagines une vie avec moi ? Je n'ai rien de ce qui peut te rendre heureuse. Je suis instable, dangereux, et... désespérément amoureux de toi. Tu entends ?! Désespérément. Ce n'est pas quelque chose de rationnel qui peut se vivre dans la vraie vie. Ce n'est... ce n'est même pas sain ! », répondit Thunder, en élevant la voix lui aussi. Ces mots frappèrent Siam comme en plein fouet. Comme si auparavant, elle vivait dans un rêve et que seulement là, on lui rabattait la réalité cruelle en plein dans la face. Elle respira un grand coup, et pour la première fois depuis ce qui lui semblait une réalité, elle se mit à réfléchir. Vraiment. Qu'avait-elle fait ? Qu'était-elle en train de faire ? Evidemment, elle se rappelait de tout avec une facilité divine. De chaque détail, et cela hantait ses pensées, désormais. Elle savait qu'elle ne pourrait jamais ôter ses images de sa tête. Thunder l'embrassant, l'enlaçant. Et voilà que maintenant ... Il lui avouait son amour, avec colère et désarroi. " désespérément amoureux de toi ", avait-il dit exactement. Depuis combien de temps, au juste ? Est-ce qu'il souffrait de ça ? Elle en était la cause. Quand à l'avenir ... Elle n'y avait pas pensé, évidemment. Les sang-mêlés, en général, ne pensent pas à l'avenir. Quelques jours plus tôt, elle avait dit à Rain qu'une vie " normale " était quasiment impossible pour des gens comme eux. Sauf ... sauf avec l'un des leurs. Siam avait alors pensé qu'il serait possible d'avoir une vie de famille, à peu près normale, à condition que l'homme en question - le mari, le père, l'aimé - soit lui-même un sang-mêlé. La conversation avec Rain lui revenait, claire et limpide. Elle se souvenait du regard malicieux de sa protégée, lorsqu'elle lui avait demandé si Zayne lui plaisait. Elle se souvenait d'elle, avouant qu'Heathcliff lui plaisait. Mais elle ne savait plus, maintenant. Lorsqu'elle avait dit cela à Rain, c'était surtout pour la rassurer. Pas vraiment par conviction. « Le vin n'est qu'une des nombreuses formes d'ivresse, Siam. Et l'ivresse ... ce n'est pas quelque chose de correct », acheva Thunder.

Qu'est-ce qui était correct, au juste ? Mais soit. Siam respira un grand coup, pour reprendre ses esprits. Elle avait besoin de ça. Elle avait besoin de quelque chose de tangible, une chose explicable à laquelle elle pouvait se raccrocher. Mais elle baissa la tête, et murmura : « Je crois que j'ai besoin de toi ». C'était stupide, elle en avait pleinement conscience. Après ce qu'il venait de se passer, ce qu'ils s'étaient dit. Elle ne redressa pas la tête, lorsque Thunder lui répondit : « Mais je serai toujours là pour toi, Siam. Comme je l'ai toujours été, et comme tu l'as été pour moi. Et ça ... ça ne changera jamais. Tu le sais. Tu l'as toujours su, n'est-ce pas ? ». Relevant la tête, Siam acquiesça sans un mot. Son regard brillait de nouveau, non d'égarement, mais d'intelligence. Comme avant. Avant tout ça. « Je suppose que je dois y aller. Je suis chef de bungalow, faudrait que j'aille voir où en est la construction du mur, tu vois », dit-elle d'un ton détaché. Comme s'il ne s'était rien passé. Elle avait même l'air déterminée.

D'ordinaire, Thunder aimait lorsqu'on son regard brillait de cette manière. Cette lueur d'intelligence qu'elle possédait et qui faisait d'elle une personne à part. Mais maintenant, ça signifiait qu'elle allait faire comme si de rien n'était. Qu'elle allait oublier, elle qui en était pourtant incapable. C'était pourtant ce qu'il voulait, n'est-ce pas ? Alors pourquoi avait-il cette douleur insupportable, qui tiraillait ses entrailles et lui donnait envie de taper dans la première cible venue ? Il était égoïste. Il avait essayé de la persuader de l'ignorer, mais il l'avait embrassée, il l'avait enlacée, et maintenant, il mourrait d'envie de recommencer, de la retenir, de ne plus jamais la lâcher. C'était injuste, aussi, surtout pour elle. Il n'avait pas le droit de revenir sur sa décision, sur leur décision.

« Je suppose que je dois y aller. Je suis chef de bungalow, faudrait que j'aille voir où en est la construction du mur, tu vois »

Mais ce fut plus fort que lui. Il attrapa son poignet. Pas brutalement, comme avant, ni même avec colère. Son toucher s'était fait plus délicat. Comme pour lui dire: « je sais que ce n'est pas bien, ce que je fais, mais je ne peux m'en empêcher. Mais tu peux partir quand même. » Il ne l'enchainait pas, il ne la forçait pas; Il espérait aussi que cette étreinte lui signifierait silencieusement que rien n'avait changé. Enfin si, tout avait changé, définitivement. Mais que quoi qu'il puisse ressentir, il serait toujours son ami. Qu'il serait toujours là pour elle. Qu'il ne laisserait pas une quelconque rancœur les séparer.

Finalement, il relâcha sa pression, et baissa la tête, malgré le mensonge presque maladroit de siam – la tour n'avait pas plus besoin d'elle que de lui. Il ne savait plus quoi penser. Il était totalement perdu. Elle avait insinué qu'elle aussi pouvait l'aimer, et pourtant, elle faisait désormais tout pour prouver le contraire. Il avait obtenu ce qu'il voulait – qu'elle se détache de tout cela – mais il n'était toujours pas satisfait. Le serait-il jamais ? Aurait-il du se sentir soulagé de lui avoir enfin confié ce qu'il ressentait depuis des années ? Surement, mais ce n'était pas cela qu'il ressentait. Et le baiser qu'ils avaient échangé lui avait laissé un goût amer d'inachevé. Il fit un pas un arrière, comme pour se libérer de tout ça; mais il savait que la distance n'y changerait rien. Tout serait bien plus compliqué à partir de maintenant.

« Je comprend. »

C'était valable pour ce qu'elle venait de prononcer, mais aussi pour tout le reste. Ces deux avaient des sens multiples, il savait qu'elle le comprendrait. Il acceptait, il capitulait, en quelque sorte. Que pouvait-il bien faire d'autre ? Il devrait patienter, et rester silencieux et stoïque jusqu'à la prochaine fois. Rester là, attendre le bon moment. Veiller sur elle sans se faire voir, sans se faire entendre. Un acteur de l'ombre. Celui qui soufflait son texte aux autres sans tirer aucune gloire de ses actions. Ce n'était pas si mal, après tout. Peut-être était-ce le rôle qui le convenait le mieux.

« Siam ? » Elle se retourna vers lui, et il tenta de sourire comme si rien ne s'était passé, à son instar. « Ça ne change rien. Je suis toujours ton ami. »

Il essayait de se rassurer un peu lui même avec ces quelques mots. Il essayait de se persuader, piteusement. Mais il le savait, au fond de lui. Il tourna les talons, repartant d'où ils étaient venus. Comme s'il avait ainsi pu retourner dans le passé. Avant tout ceci.

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