« Tu devrais peut-être lui donner un peu de café, à ta gosse ». Elvira Mogg haussa les épaules, l'air amorphe. Elle était assise à la table du salon, en face de son amie Kat. Les deux femmes buvaient une tasse de café, tout en bavardant de tout et de rien. C'était une habitude qu'elles avaient pris : chaque mercredi après-midi, Kat venait boire un café chez Elvira. Elles se connaissaient depuis le lycée, et avait toutes les deux ce qu'on qualifierait d'une " vie ratée ". Kat était tombée enceinte la dernière année du lycée, d'un crétin qu'elle avait finit par épouser, poussée par des parents fort catholiques. Elle n'avait pas fait d'études, mais plutôt enchaîner les grossesses jusqu'à pondre cinq bambins. Elle avait bien tenter de travailler comme secrétaire, mais était vite revenue à la maison, et se contentait maintenant d'être mère au foyer. Sauf qu'elle ne supportait plus ses enfants, qu'elle qualifiait elle-même de " monstres infernaux ". Quant à Elvira Mogg, elle n'avait pas fait d'études par manque d'envie et de capacité. Il fallait bien avouer qu'Elvira n'était pas très futée, et qu'elle était plutôt occupée à regarder des feuilletons bidons à la télévision qu'à lire ou s'occuper par une quelconque autre activité cultivée. Elle avait enchaîné quelques relations peu concluantes, avant de tomber sur le mec qui l'avait mise enceinte. Après un déni de grossesse d'environ cinq mois, elle n'avait pu avorter et s'était donc résolue à élever un enfant. Elsie. Qui, sept ans plus tard, se tenait là, debout face aux deux femmes, les yeux embués de sommeil. Sa mère lui lança un regard morne avant de revenir à Kat, et de répondre : « J'sais pas, c'est pas dangereux pour les gosses ? Et puis, au moins, elle m'emmerde pas ». Elle haussa de nouveau les épaules, sirotant au passage une gorgée de café. « C'est pas faux. Mes mioches à moi, faudrait plutôt leur filer des somnifères. S'ils pouvaient prendre exemple sur ta crevette à toi ... », soupira Kat. Elle semblait vraiment dépitée. Elsie, elle, traîna derrière elle son doudou jusqu'au canapé, où elle prit place. La télévision était déjà allumée, sur un documentaire basé sur la Grèce Antique. Elsie resta un moment fascinée, avant que sa mère ne se lève de sa chaise pour s'emparer de la télécommande et marmonner : « Des conneries, ça », et de changer sur la chaîne de dessin animé totalement débile pour enfants. Elsie fronça bien les sourcils, mais ne pipa mot. Du jardin, on entendait les bruits bestiaux des quatre enfants de Kat. Elsie pensa à un zoo, et colla les tronches de ses " cousins " (car Elvira avait décrété que Kat serait la tante d'Elsie, même si le lien de parenté n'existait pas) sur des corps d'animaux dans sa tête. Le plus grand avait quatorze ans et préférait rester chez lui, collé à l'ordinateur, selon les dires de Kat. Elsie n'aimait pas les enfants de sa " tante ". Ils étaient, tous autant, bruyants, surexcités en permanence, promptes à faire chaque bêtise possible et imaginable. En plus, ils trouvaient toujours le moyen de faire accuser Elsie, qui se sentait toujours trop lasse pour protester. Quelle vie.

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« J'étais pas venue pour elle, j'étais pas venue pour elle », ne cessait de répéter la chèvre. Elsie était assise à côté de la chose, à l'arrière d'un bus qui allait en direction de New York. La ville qui ne dormait jamais. Rien que ce surnom ne plaisait pas à Elsie : dormir, c'était le bien. Au juste, elle ne savait même plus pourquoi elle avait accepté de monter dans ce bus, et de payer non seulement sa place à un prix qui lui semblait exorbitant, mais aussi celle de la chèvre. Car c'était bien une chèvre, Elsie avait vu ses deux petites cornes sous son bonnet Mickey - qu'il avait surement choppé à Disneyland, où sinon ? Et puis, en s'asseyant, il avait perdu une chaussure, et Elsie avait eu les yeux écarquillés en découvrant non pas un pied mais un sabot. Cela dit, elle n'avait fait aucune remarque et s'était contentée de tourner la tête vers la fenêtre, comme si de rien n'était - malgré qu'elle tirât une tête absolument étonnée. Son bras la lançait toujours, d'ailleurs. Elle n'en revenait toujours pas de s'être fait attaquer par un pigeon en métal. Elle allait juste faire deux-trois courses pour sa mère, quand la bestiole lui avait fondu dessus pour lui piquer le bras. Sauf que son bec à lui était dur et tranchant. Elsie avait eu beau lâcher ses sacs, lui crier de partir et le repousser avec son autre bras - tout cela en gigotant de manière passablement ridicule -, l'oiseau avait continué de l'asticoter avec son bec d'airain. C'est là qu'était intervenu Bob. Elsie l'avait vu, tout d'abord la regarder, l'air en plein combat intérieur. Puis il avait fini par venir à sa rescousse, dégainer une flûte de Pan et jouer un air tellement strident que l'oiseau avait fini par fuir en braillant. Elsie avait le bras ensanglanté, et paraissait totalement sidéré. Par le chapeau Mickey made in Disneyland de ce qui semblait au début être un garçon. « T'as quel âge ? Tu connais tes deux parents ? T'es dyslexique ? T'as souvent des problèmes ? », l'avait tout de suite assailli le garçon-chèvre. Elle avait alors balbutié qu'elle avait seize ans, qu'elle n'avait jamais connu son père, que oui elle était dyslexique et qu'elle essayait toujours d'éviter les problèmes. Alors le gars avait regardé partout autour d'eux, avant de l'attraper au poignet et de l’entraîner à l'arrêt de bus le plus proche. « Ok, on part pour New-York, alors », avait-il dit. Elsie avait protesté un moment, et avait fini par le convaincre - assez rapidement - de passer d'abord par chez elle, histoire d'y prendre quelques affaires. Elvira Mogg était absente, surement à son travail. Elle avait trouvé un job de femme de ménage chez une riche famille. Alors Elsie avait laissé un mot pas très clair, puis avait filé. En douceur. Ils avaient presque failli rater le bus, et Bob avait maugréé. Depuis, il ne cessait de répéter " j'étais pas venue pour elle " et Elsie, elle, ne disait rien. Aucune question ne lui venait à l'esprit. Au bout de deux heures, il finit par change de disque : « C'est pas toi que j'ai senti. Il y avait par là un demi-dieu bien plus puissant. Mais j'ai perdu sa trace, comme s'il avait quitté le coin. Et puis je suis tombée sur toi. Ils vont pas être contents, les gros satyres, quand j'vais leur dire que j'ai ramené qu'une fille de Dieu mineur », se morfondit-il. Elsie ne comprit absolument rien, mais fit mine de compatir. « Désolée », dit-elle. Bob haussa les épaules et reprit : « Ça va ton bras, au fait ? Me semble qu'il me reste un bout d'ambroisie, ça pourrait te tuer ou totalement te guérir ». Elsie regarda son bras : elle avait pas mal de grosses égratignures, dont une superbe entaille d'au moins dix centimètres de long et relativement profonde pour que le sang coule à flots. Elle avait juste eu le temps de passer son bras sous l'eau - non sans couiner - puis d'y coller un bandage. En gros, elle avait grossièrement bandé son bras entier. « Je préfère pas essayer, au cas où ça m'tuerait, tu vois », répondit-elle. Bob acquiesça et se tut. Puis il sembla se rappeler d'un truc, genre d'être pris d'une soudaine illumination et il dit : « Au fait, on va à Long Island, pour être précis. A mon avis, avec toi, on court pas grand danger. Les monstres, ils sentent mieux les demi-dieux d'Olympien, tu vois. Quand on sera arrivés, ils te passeront un DVD. Ce machin débile explique mieux que moi la situation ». Elsie pencha la tête de côté mais ne pipa mot. Ils ne parlèrent plus de tout le voyage.

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« Hé Elsie ! Ramène toi, on va faire un match de volley et il nous manque une personne », lança quelqu'un de l'entrée du bungalow des Hermès. Elsie était allongée par terre, sur un sac de couchage, la tête bien calée dans un oreiller. Elle était à la colonie depuis un peu moins de deux mois, et passait le plus clair de son temps dans le bungalow d'Hermès, tout en sachant qu'il n'était pas son père mais qu'elle y resterait quand même toute sa vie. Il était clair pour tout le monde qu'elle était la fille d'un Dieu mineur, mais personne n'avait de pistes sérieuses quant à son identité. « C'est mort », lâcha-t-elle, le son de sa voix à moitié étouffée par le bout de couverture qui lui remontait jusque sous le nez. Le gosse à l'entrée parut dépité, mais pas si surpris que ça. Elsie était plus connue comme la flemmarde de la colonie que pour la sportive en herbe. D'ailleurs, à son arrivée, d'autres sang-mêlés lui avaient présenté toutes les activités que proposaient la colonie. Eh bien, ça lui avait pas tant plus que ça. Tout ce qui était stade et arène, rien qu'en posant les yeux dessus, elle avait su qu'elle n'y mettrait pas les pieds souvent (tous les 36 du mois, en fait). Les épées, les lances, tout ça, c'était très peu pour elle. Et puis, si les deux premiers jours, on avait réussi à la forcer à s'essayer à un peu tout, personne n'avait capté la moindre trace d'aptitudes particulières. On aurait presque pu douter de son affiliation avec un quelconque Dieu, mais le fait était là : Elsie avait pu passer la limite magique. Elle avait donc du sang de Dieu dans les veines, même si certainement pas des litres.

Et le son du Cor de chasse sonna l'heure du petit-déjeuner. Elsie se tapa la tête dans son coussin avant de se redresser, les cheveux en bataille, l'air ensommeillé - air qu'elle se trimballait les trois quarts du temps. « Déjà ?! », s'écria le garçon qui avait proposé un match de volley, avant de filer se mettre en rang devant le bungalow. Elsie se demanda comment il faisait pour se lever aussi tôt, et cela pour jouer au volley. Puis elle se leva et rejoignit l'immense rang des Hermès. Elle avait pris quelques habitudes, dont celle de s'asseoir en bout de table - une fesse dans le vide, une autre dangereusement bancale sur le banc - et de toujours prendre un verre de jus multivitaminé à chaque repas, en demandant diverses couleurs à chaque fois. Cela dit, les vitamines ne semblaient jamais lui faire d'effet. Ainsi, ce matin-là, elle demanda à haute voix un jus multivitaminé de couleur mauve, et se servit de brioches et de Nutella - ça, c'était bon. Elle avait d'ailleurs fini de se tartiner une brioche, avait la bouche ouverte pour l'avaler quand son voisin d'à côté sursauta et la fit elle-même tomber du banc. « Espèce de pigeon en métal ! », lui cria-t-elle (elle insultait tout le monde ainsi depuis qu'elle s'était faite attaquer par un oiseau de Stymphale) en se redressant. C'est là qu'elle se rendit compte que la majorité des gens alentours pointaient le doigt au dessus de sa tête à elle. Ainsi, elle leva les yeux et découvrit une sorte d'hologramme représentant une fleur dont elle ne connaissait pas le nom. Elle était rouge et ressemblait à une sorte de coquelicot. « C'est quoi ce délire ? », marmonna-t-elle, quand un enfant d'Athéna se leva pour crier : « Une fleur de pavot ! C'est une fille d'Hypnos, Dieu du Sommeil, fils de Nyx, frère jumeau de Thanatos, père de Morphée. Il peut endormir tout le monde, même les Dieux et ... » « C'est bon, MERCI Richard », le coupa un Hermès. Le Richard se rassit, mais les murmures ne cessèrent que lorsque l'hologramme disparut. Elle était fille d'Hypnos. Il n'avait aucun bungalow à son effigie à la colonie. Elle serait donc une " permanente " du bungalow d'Hermès, sans être sa fille et tout en étant reconnue par son propre père. Merveilleux.