« Omma ? » La jeune femme s'était effondré sur le sol, et si ses yeux étaient encore ouverts, ils semblaient plongés dans le vide. La petite fille s'effondra à son tour, et tenta de relever sa mère, sans succès. « Rain... je n'arrive plus à bouger. Appelle quelqu'un. » L'enfant aux longues couettes brunes se mit à courir dans le centre commercial, et arriva à une cabine téléphonique. Elle composa de ses doigts tremblants le numéro que sa mère lui avait appris à faire en cas d'extrême urgence – un homme lui posa plusieurs questions avant de lui administrer quelques paroles rassurantes en lui assurant qu'une ambulance arriverait au plus vite. En effet, quelques minutes plus tard, des hommes en blanc arrivèrent armés d'un brancard, où ils posèrent la mère toujours immobile. Un autre prit Rain dans ses bras et l'entraîna dans l'ambulance qui attendait devant le bâtiment. De longues minutes se succédèrent, des heures, peut-être – la jeune enfant n'avait plus la notion du temps. Elle tenait fermement la main blanche de sa mère entre ses petits doigts frémissants. Elle guettait une réaction, un mouvement, un murmure, mais le visage d'ordinaire si mobile de sa génitrice restait désespérément dénué de toute expression.

La jeune femme était allongée sur le lit d'hôpital. Son visage était recouvert d'un masque à oxygène, et de nombreux tuyaux sortaient de sa bouche entrouverte. Le décompte des gouttes qui coulaient lentement dans le tuyaux qui était raccordé à son bras se calait sur le bruit des aiguilles de l'horloge, au coin de la chambre. Son enfant dormait sur le fauteuil en face du lit, dans une position inconfortable. Un docteur entra silencieusement dans la pièce, et eut un sourire attendri face à la vue de la petite. Sa petite. Son visage se tordit de manière violente lorsque ses yeux passèrent vers la mère étendue, et ses yeux se remplirent de larmes contenues. Pourquoi s'était-il laissé séduire par cette femme, si belle, mais qui ne l'aimait pas ? Pourquoi avait-il abandonné la femme de sa vie ? Ces questions taraudaient son esprit. Et pourquoi, surtout, avait-elle voulu garder l'enfant ? Rain... peut-être l'avait-elle appelée ainsi parce que c'était une jour d'été que Hyun Woo lui avait annoncé qu'il l'avait trompée. Il ressortit aussi vite qu'il était entrée – tout allait bien, et il ne voulait pas brusquer sa patiente.


« RAIN ! VIENS ICI IMMEDIATEMENT ! » La jeune fille se dirigea en courant vers le fauteuil roulant; elle avait désormais douze ans, et la vie lui apparaissait bien différemment. Sa mère s'approcha d'elle à la seule force de ses bras, et lui jeta un regard sévère, qui acheva de glacer les restes de gaieté qui subsistaient en elle. « Aide moi à monter. » Rain s'empara des poignées du fauteuil et fit grimper sa mère dans l'ascenseur, en direction de l'appartement miteux qu'elles occupaient. Depuis son accident cardio vasculaire, madame Jeong était clouée sur cet appareil roulant; il avait fallu préalablement des années de ré-éducation pour qu'elle retrouve l'usage de la parole, et c'était Rain qui s'en était occupée – elles n'avaient pas l'argent pour se payer une auxiliaire de vie, qui aurait tenu le rôle de l'infirmière classique: l'habiller, la nourrir, la laver, tout cela était autant de taches dont la jeune fille avait du s'acquitter avec efficacité et silence. Madame Jeong était devenue plus irascible, plus colérique – elle ne supportait pas d'être ainsi un poids pour sa propre fille, et malheureusement, elle n'avait pas d'autre moyen d'évacuer sa colère. Rain s'était toujours tue, n'avait jamais bronché. Elle aimait sa mère, se devait de se comporter comme si de rien n'était. Elle souffrait, et pleurait souvent, une fois qu'elle était dans son lit et que personne ne pouvait la surprendre. Mais la journée, il n'y avait pas de place pour les larmes.

Une fois dans le salon, la jeune fille sortit une fleur de sa poche, qu'elle avait cueillie dans le petit parc, devant leur immeuble. Elle la déposa dans un vase, mit de l'eau dans le récipient. A côté de l'innocente marguerite, des dizaines d'autres bouquets, entretenus avec amour, s'épanouissait. Madame Jeong aimait les fleurs - et Rain prenait très à cœur tous les plaisir qu'elle pouvait offrir à sa mère, aussi futiles soient-ils.


« OMO ! » Rain poussa un cri strident, et se mit à courir pour échapper à la créature abominable qui lui volait après. Un bruit mat retentit derrière elle, mais elle ne détourna pas les yeux de son chemin – elle courrait, comme si la mort était à ses trousses, ce qui était probablement le cas. Elle se jeta derrière une poubelle, attendant un bruit quelconque qui lui donnerait un signal pour fuir plus loin encore. Pourtant, le silence se fit bientôt ressentir, et, curieuse, elle se pencha quelque peu pour voir la scène.

Une bête, mi-homme, mi-bouc, avait fait fuir la créature effrayante, et s'avançait désormais vers elle. Rain sortit de sa cachette, et se mit en position de défense, dissimulant la peur qui lui tordait le ventre. « Plus un geste ! Je vous préviens, je n'hésiterai pas à frapper ! » La bête rigola, et s'adressa à elle – elle en tomba sur les fesses de surprise. Elle devait le suivre, coute que coute, et elle aurait droit à des explications plus tard. Il avait prévenu sa mère, tout était prêt, il ne leur restait plus qu'à partir.

Rain avait 17 ans, avait déménagé aux États-Unis avec sa mère pour rencontrer un médecin renommé, et, désormais, elle était une sang-mêlé. Rain avait 17 ans, et elle s'engageait vers l'inconnu.


Ses grands yeux noirs s'émerveillaient. Elle avait passé le porche en compagnie du satyre – ainsi désignait-on son espèce. Une fois arrivée dans un endroit plus fréquenté, les yeux convergèrent bien vite vers elle. Elle était singulière – ses traits asiatiques la démarquait déjà de manière significative. Mais tout dans son attitude démontrait la nouveauté: ses habits de ville dénotaient étrangement au milieu des armures métalliques, et son visage qui scrutait tout avec une immense curiosité prouvait bien qu'elle venait à peine de débarquer. Cependant, elle était trop fatiguée pour arpenter les lieux, et son satyre la mena jusqu'à un grand bâtiment. Des lits se succédaient – l'infirmerie, sûrement. Elle s'assit sur un lit, et une jeune femme entreprit de lui servir un verre d'un élixir inconnu, qui réchauffa sa gorge irrité et la revigora immédiatement.

« Repose toi bien. Et bienvenue dans la colonie des sang-mêlés. »

Rain lui sourit avec gaieté, avant de reposer son crâne sur les coussins. De longues minutes se succédèrent, durant lesquelles des images diverses traversèrent son esprit. Elle finit par trouver le sommeil – un sommeil réparateur et dénué de rêves.

Lorsqu'elle s'éveilla, une silhouette se tenait à ses côtés. Elle releva son buste avec brusquerie, et porta ses mains à ses lèvres. Le garçon qui était assis sur son lit se releva, un demi-sourire aux lèvres, puis partit sans dire un mot. Non, elle avait dû rêver. Il ne pouvait pas être coréen. Et aussi beau.