Petit, Heathcliff n’était pas bien drôle, pas bien souriant, mais les années passèrent et cela ne s’arrangeait en rien. Arrogant et manipulateur, il faisait toujours en sorte que les plus petits lui obéissent au doigt et à l’œil, mais cela, ce n’était qu’en principe que lorsqu’il était à l’école maternelle et en primaire. Vint ensuite le temps de l’adolescence, et il était clair que Heathcliff serait le petit canard de la classe. Vilain. Mauvais. Tricheur. Menteur. Egoïste. Il ne vivait que de méchanceté pure et arrogance. Jamais on n’eut pu voir un gamin aussi narcissique et peu aimable avec les adultes. Jamais on n’eut pu voir tel spécimen, tout simplement. Mais ce qui différenciait un peu plus les enfants de son âge et Heathcliff, c’était qu’il possédait non seulement son propre caractère, mais aussi, il était un demi-dieu, le fils du dieu de la guerre, Arès. On pouvait comprendre pourquoi il était aussi mauvais, aussi froid et distant avec les gens qui l’entouraient à l’école et dans la rue, ou même dans l’immeuble où vivait une vieille dame et son chat. Chat qu’il s’est amusé à balancer au-dessus du balcon un bon nombre de fois d’ailleurs. On pouvait aussi voir la tristesse qui s’immisçait sur le doux visage de marbre du garçon. Lui qui ne sourit jamais que pour feinter un sourire satisfait de lui-même seulement, il vous sera très rare de le voir avoir une pointe de sympathie pour vous. Pourtant, nous disions faux. Beaucoup de choses admises, étaient fausses, irrévocablement. Il avait beau être le parfait petit garçon que Arès avait procrée, dont il avait hérité non seulement la carrure mais le caractère, il restait sensible et attentionné quand il le voulait. Ce sont des facettes de lui qui se dévoilent de jour en jour. Prenez simplement l’exemple de sa rencontre avec Simphonie Baxter, une fille d’Aphrodite comme toute les autres – il faut savoir qu’il les déteste toutes les unes des autres les filles d’Aphrodite – et pourtant il s’est ouvert. L’huitre à dévoiler son contenu sinistre et pesant à la princesse aux cheveux d’or. Simphonie était un ange, sans aucun doute, la seule qui puisse à présent l’écouter sans qu’il ne se renfrogne ou sorte de ses gongs, sans qu’on ne le force, tout simplement. Heathcliff est impulsif. C’est pourquoi en cette douce après-midi ensoleillé, monsieur s’est retrouvé à l’infirmerie, contusionné de partout. Une bagarre comme une autre en fait, mais une de trop peut-être. Celle qui lui fit se rappeler qu’il n’était pas là pour chercher des ennuis mais pour apprendre à être lui, devenir lui. Ceci étant, quand il s’agit de Zayne, Heathcliff ne laisse pas passer. Le garçon s’énerve, monte sur ses grands chevaux, et il cogne. Inlassablement. Impulsif, il ne se retient pas de cogner quand c’est nécessaire. Les premiers jours qu’il était arrivé au camp, il s’était déjà battu quatre fois en une journée, record battu l’an dernier d’ailleurs. Mais Heathcliff est insensible à la douleur – pratiquement, s’entend. Un coup de poing dans l’épaule, il ne le ressent pas ; dans les genoux, encore moins ; la joue est un endroit peu sensible de son corps, tout autant que le reste d’ailleurs. Vous l’aurez compris, Heathcliff a décoché un poing à Zayne, ou peut-être le contraire. On dit que les deux l’ont fait. On dit que Heathcliff a été ignoble. On dit que Zayne était rouge de colère. Mais on ne sait pas pourquoi ; et on ne sait pas réellement la vérité.

« Restez tranquille, Monsieur Yoon. »
« Aish, la ferme, je vais… »
« Bien. C’est cela. Couchez jeune homme. »

D’énormes contusions. Un genou en sang. La joue entaillée. L’œil gonflé. De multiples coupures sur les bras. Non, il ne s’agit pas de la bagarre très courte entre Heathcliff et Zayne, mais de l’impulsivité de Heathcliff à frapper sur des arbres dans une forêt déserte et pourtant peuplé de monstres en tout genre. Habile, il aurait pu esquiver l’attaque de la bête, mais il n’eut pas le temps. Rétabli à l’état d’une loque vivante sur le lit sur lequel on l’a installé, il geint comme un gamin alors que l’infirmière couvre ses contusions de désinfectant et recoud les quelques égratignures qui ne sont pas réellement dangereuses pour lui. L’odeur de l’alcool dans le désinfectant endort le garçon, et très vite, il se retrouve dans ses rêves les plus profondément ancrés dans son inconscience.

Tu cours à travers le parc de jeu. L’herbe est verdoyante et le soleil brille. Tes cheveux immaculés de ses rayons de soleil dansent dans un coup de vent et tu ris aux éclats quand ta petite sœur de cinq ans s’effondre par terre, fesses les premières sur le trottoir dallé qui sépare la route et l’étendue de verdure à vos côtés. Il y a cette petite fille au loin, tu l’as déjà vue quelque part, tu ris, et avec ta petite sœur, main dans la main, tu t’élances vers la petite fille. Tu as peut-être treize ans à l’époque, l’enfant à la robe à carreaux tient la main de sa mère en a surement dix ou neuf, tu ne saurais dire en fin de compte.

Son rêve se transforme en cauchemar assez rapidement, le réveillant en sursaut, lors de cette nuit éclairé par la lune blanchâtre qui éclaire les lits vides de l’infirmerie. Seul, il s’assoit sur le rebord du lit et ne peut pas oublier ce visage qui ressemble tellement à celui de Rain, dont il a rêvé. La tête dans ses mains, il entend des pas, et soupire.

La dernière fois qu’il s’est battu sans considération, il avait treize ans. Ce souvenir le hante, jour et nuit, et personne encore dans le camp ne peut réellement s’avoir ce qui torture en vain le cœur de Heathcliff Yoon. Un soupir s’échappe de ses lèvres tandis qu’elle apparait dans son champ de vision troublé. Son œil gonflé pas seulement par un des coups de poings de Zayne n’arrive qu’à discerner sa silhouette familière – c’est pour cela qu’il l’eut reconnu immédiatement et qu’il était presque prêt à reculer, de peur qu’elle le frappe ou non. Ce souvenir qui le hante ressurgi dans son esprit, et pourtant, la vision de Heathcliff, qui se trouble bien trop pour apercevoir l’inquiétude de Rain, ne voit que la petite sœur qu’il a perdu, et à cause de qui, il est devenu si irréprochablement narcissique, et froid avec la gente féminine. Heathcliff a terriblement peur de blesser chaque femme qu’il s’emploie à apprécier ou aimer – ceci étant, pourquoi ressentir des papillons dans son bas ventre dans Rain apparait ? pourquoi frissonner quand ses doigts effleurent sa peau en déposant simplement une serviette humidifié sur son front ? Toujours assis sur le rebord du lit, il relève son regard vers elle, désolé de se présenter aussi peu convenablement face à elle. Pourquoi se sent-il désolé d’ailleurs ? Heathcliff n’a jamais ressenti tels sentiments en lui depuis la mort de sa petite sœur. C’était à cause de celle-ci, qu’il a décidé de devenir insupportable et pourtant si respectable, si gentleman – cela ne prouve rien de ce qu’il est réellement, un garçon, fatiguée de combattre son orgueil, lasse de ne pas pouvoir aimer. Il grimace doucement et ses doigts glissent sur le poignet de Rain, tandis qu’elle épongeait encore son front énergiquement. Il sait que c’est particulièrement troublant – toutes les contusions qu’il a acquises en se rendant simplement dans une forêt, et il est presque désolé qu’elle ait à supporter cette vision. Ses doigts entourent son poignet et il redescend sa main sur l’un de ses genoux, glissant ses doigts entre les siens. Heathcliff se mord la lèvre instinctivement. Pourquoi autant de douceur dans ses gestes ce soir-là ? Pourquoi autant de changement dans sa façon d’être juste avec elle, cette nuit-là ? Il ne sait pas non plus, mais il agit comme son cœur et son esprit lui dictent d’agir. C’est pourquoi sa main, ayant débarrassé celle de Rain de la serviette dont elle s’était saisie, vient longer la jugulaire de la jeune femme et redessiner la courbe de son menton, ainsi que celle de ses joues roses et de son nez fin.

« Désolé d’être… »

Il hésite légèrement, ses doigts posés sur la tempe de Rain, traçant de petit cerles indescriptibles. Ses sourcils froncent et il secoue la tête négativement, comme pour chasser ses pensées les plus … étranges.

« Je vais bien, merci. Enfin… je crois. C’était juste… un rêve. Un énième en fait. Mais tu te fiches bien de cela, erm… tu fais quoi ici ? Je veux dire, il est tard pour que la fille de Déméter se balade dans les couloirs de l’infirmerie sans raison, ne ? »

Il parle si familièrement à présent, qu’il ne saurait dire ce qui a changé depuis la dernière fois qu’ils se sont parlé ? Peut-être est-ce simplement le fait de l’avoir sauver, de l’avoir regarder autrement dans quelques secondes, de l’avoir dévorer du regard. Heathcliff n’a plus dévorer du regard une jeune femme depuis ses quatorze ans, où il s’est fait prendre dans les toilettes de l’école municipale en train de quémander à une plus jeune que lui d’un an, de l’embrasser et de se laisser faire. Heathcliff était déjà bien entreprenant et manipulateur à l’époque, mais ce n’était que les circonstances qui le faisaient agir de la sorte, rien d’autre. C’est pour ainsi dire la première fois depuis des années qui n’a pas été aussi affaibli et doux envers quelqu’un. Ses doigts ne semblent pas vouloir quitter le contact de sa peau contre celle de Rain, c’est pour ainsi dire indéniable qu’elle l’intéresse. A tout point de vue, il l’a toujours peu apprécié, presque détesté – si elle repoussait ainsi ses gestes dans quelques secondes, il n’en serait point étonné, mais peut-être persévéra-t-il encore après. Un léger sourire, presque timide, se dessine sur ses lèvres et ses doigts caressent la paume de la main de Rain, légèrement. C’est peut-être l’anxiété qui le ait agir de la sorte, nous ne saurions dire ce qui se tramait dans l’esprit de Heathcliff quand son regard croisait le sien et qu’il se rendait compte de la proximité de leurs visages.

« Ne, Rain… Je suis vraiment le pire des garçons que tu as rencontré dans ta vie, pas vrai ? Tu… tu me détestes, hein ? Ça serait pas étonnant. Je… »

Peu à peu, le cœur de Heathcliff s’ouvre. Peu à peu, son esprit laisse le passage à certaines vérités et il semble presque prêt à se découvrir une sensibilité dans ses mots, mais Heathcliff ne sait pas comment s’y prendre. Il n’a plus jamais confié quoi que ce ne soit à personne depuis des années – depuis la mort de sa petite sœur – depuis qu’il n’a plus revue la petite fille de ses rêves. Son regard se pose sur sa main presque dans celle de Rain, et ses doigts échappent à la paume de Rain. Il grimace et tout redevient froid et terne, sans vie et sans couleur.

« Désolé. Je ne devrais pas faire ça. Je ne devrais même pas te parler, vue que… vue que au final tu n’éprouves pas une pointe de sympathie pour moi. En plus, je ne veux pas une énième claque de ta part, j’ai eu mon quota en me rendant dans la forêt cette après-midi. Erm. C’est pas la … la bagarre avec Zayne qui a fait ça, c’est… bah… je sais pas moi-même…. C’est… »

Peut-être est-ce le simple fait d’être étrangement enclin à devenir fou d’une fille sans vraiment le savoir lui-même ?

« Dis, Heath… c’était toi… le petit garçon ? »

Perdu, Heathcliff déglutit difficilement et observe les traits tourmentés de Rain. Ses doigts ancrés dans sa main qui se resserre doucement sur ceux-ci n’osent bouger, n’osent défaire cette étreinte qu’elle a reprise inconsciemment de son plein gré. Un léger sourire se dessine sur ses lèvres et il la contemple silencieux. Ses contusions le tiraillent affreusement, mais il ne dit rien, il ne grimace pas non plus, trop occupé à contempler la beauté naturelle de Rain, celle qu’il n’avait pas encore remarqué aussi bien que cette nuit-là. Sa peau blafarde se reflétait dans la lumière de la lune et il redécouvrait une autre Rain sous ses yeux, plus rayonnante et frêle qu’il ne l’aurait cru. Mais lui aussi n’est-il pas beaucoup plus affaibli par son mal être et ses contusions face à elle que d’habitude ? Son autre main vient se loger sur sa joue et caresser doucement son front du haut de son pouce, déplaçant quelques mèches de cheveux noirs ébène qui retombaient dans ses cheveux et l’empêchait de contempler son regard, de plonger dans ses prunelles noirs, indescriptibles dans la pénombre affligeante dans laquelle ils se trouvaient l’un l’autre. « Le petit garçon » c’était bien lui, mais comment pouvait-il comprendre de quoi elle parlait sans vraiment se poser des questions ? Pourtant les questions ne fusent pas dans son esprit, vide et noirci par la concordance entre sa douleur et sa contemplation. Il n’a suffi que d’un regard pour qu’il ne pense plus à rien d’autre qu’à ce qu’il entend prononcer de ses lèvres charnues qu’il dévore du regard. « Le petit garçon » ne ? Ce rêve qui le hante ne semble pas tant impossible et irréel que cela alors ? La silhouette de cette douce enfant lui revient en mémoire. Les fossettes rosâtre qu’il eut pu observer ne semble pourtant pas ressembler à celle de la « grande » jeune femme à ses côtés. La chaleur des doigts de Rain contre les siens le réchauffe particulièrement et son regard se perd dans les prunelles adorables de la jeune femme. Jamais encore il ne s’est senti aussi apaisé en compagnie d’une jeune femme tel que Rain, surtout de Rain, plutôt. Mais la question subsiste comme une horloge sonnant les dix coups de minuit et il lui faut répondre à cette interrogation venant de Rain. Ne sachant pas vraiment si elle, était cette douce petite fille adorable, jolie et aimante à qui il donna son « premier baiser », il ignorait la façon dont il devait entreprendre sa réponse auprès de Rain.

« Je suis… qui ? Ce… Rain… Tu… »

Il balbutie malgré lui, mais la vérité nait sous son nez aussi rapidement que l’image de cette enfant, un peu plus âgée, collégienne sans doute, adolescente, comme lui. Elle ressemble beaucoup à Rain, cette jolie jeune femme qui est assise à ses côtés – mais comment pourrait-elle être Rain ? Celle-ci ne semble pas vraiment beaucoup l’apprécier, pourtant, il s’emploie à redessiner la courbe de son nez, inspectant la différence avec celle qu’il avait admiré étant plus jeune, et puis ses lèvres, roses, rouges par la tension et la chaleur qui émane de leurs deux corps de braise, elles sont plus charnues que celle de la petite adolescente qu’il a connu, mais, on grandit en tellement peu de temps que tu ne douterais pas qu’elle puisse être cette… petite fille que tu as connue.

« Rain est… Ha Neul ? »

Il parle comme un idiot, mais à vrai dire, il ne sait trop quoi pensé. Perdu, troublé, il cherche du regard des réponses au tumulte de questions qui viennent envahir son esprit, tel un ouragan ravageant tout ce qu’il eut entrepris jusque-là. Les mœurs de la perte de sa sœur sont balayées d’un coup de vent, et il ne reste plus que Rain Ha Neul Jeong qui s’immisce dans son corps et son esprit. Son âme se remémore tout ce qu’il a vécue avec la petite Ha Neul, elle riait, courrait, dansait, tournoyait avec lui. Ils passaient leurs journées ensemble, à se raconter des choses qu’ils ne devraient pas se dire. Un jour, il l’a embrassé, pas seulement sur les joues, mais sur ses douces lèvres attirantes qui jouaient avec les battements de son cœur. Il échappe un soupir et son regard se baisse, quittant sa contemplation.

« Je… Je suis Heathcliff Ryu Yoon… »

Se mordant la lèvre, Heathcliff hésite, mais peu à peu les secondes passent et ses mains jointent à celles de Rain ont beaucoup de mal à se contenir, elles tremblent légèrement et se resserrent et puis finalement il fait face à ce qu’il décide de faire. Son regard plonge dans le sien et son visage se penche vers elle, tandis qu’elle tombe en arrière sur le matelas moue, il se laisse glisser contre son corps et ses lèvres se joignent aux siennes, se mouvant contre les siennes avec passion et ferveur, il laisse finalement ses mains se dérober sur les hanches et la taille de la jeune femme, redessinant les courbes de son corps lentement, sans trop peu d’assurance. Après quelques baisers furtifs dont l’intensité se fut multipliée au fil des secondes qui passent, il rompe le contact, mais ne quitte pas son regard. Ses prunelles s’inscrivent dans les siennes, et ses doigts resserrent leur emprise sur ses hanches.

« R…Rain.. »

Il se mord la lèvre inconsciemment. Peut-être a-t-elle raison ? Peut-être est-ce vraiment déraisonnable d’agir de la sorte alors qu’ils ne se sont pas appréciés jusque-là ? Ses doigts se faufilent sur la peau de Rain et viennent rencontrer les mains de la jeune femme, avant de finalement décider de se redresser. Déraisonnable et contre nature, même. Heathcliff avait beau être un garçon en proie à être entreprenant auprès de n’importe quel fille auprès de lui, cela ne l’empêche en rien de retenir ses pulsions les plus profondément ancrés en lui. Rain ou pas, elle doit – elle est logé à la même enseigne, et si, éventuellement, il devait vraiment se passer quelque chose entre eux - ne devait-il pas seulement faire durer le moment, plus lentement, plus doucement ? Bien qu’elle soit là, bien qu’il s’agisse de la petite fille dont il a toujours rêvé de revoir depuis des années, Heathcliff n’a décemment pas envie de paraitre brutal, pas envie de paraitre incontrôlable et impatient. Leur « premier » baiser en tant que Rain et Heathcliff fut particulièrement léger et indécent. Leur « premier » baiser fut délicieux, et passionné. Il lâche les mains de la jeune femme et recule vers le mur à ses côtés, tâtant dans la pénombre pour allumer la petite lampe de chevet qui se trouvait à sa gauche. Un léger soupir traverse ses lèvres et il se rend compte de ce qui s’installe dans son esprit, et sous ses yeux. Cette jeune femme qu’il a toujours été enclin à taquiner et « détester » s’avérait bel et bien être celle qu’il a toujours cherché à retrouver. Les papiers éparpillés dans sa chambre sont le reflet de ses recherches intenses pendant des années, des jours, des nuits. Il n’en dormait presque pas, depuis le jour où elle est resurgit dans ses rêves il avait repris ses recherches avec vivacité dans le but de la retrouver – cette petite perle rare qu’il avait rencontré, qui était aussi semblable que sa défunte petite sœur. C’était d’ailleurs pour cela qu’il l’aimait – qu’il avait appris à aimer, adorer, apprécier ce petit être absent et pourtant sous ses yeux - parce qu’elle était tout simplement comme sa petite sœur. Souriante, aimante, naïve et pourtant si douce et attentionné. Heathcliff se rappelait toujours de ses moments où elle venait poser du désinfectant sur ses blessures parce qu’il était tombé du vélo sur le goudron brulant d’une journée d’été, et qu’il l’a repoussait presque trop violemment en criant qu’il avait mal. Mais cela n’avait point de méchanceté dans ces gestes futiles car deux minutes après ils se retrouvaient à gambader dans les prés dorés de là où ils vivaient, ensemble. Rain était un peu comme sa petite sœur abandonnée – elle agissait de la même manière qu’elle – au fond, Heathcliff était sûr que si sa petite sœur était avec eux aujourd’hui, elle adorerait partager des moments avec une jeune femme comme Rain. Un sourire rêveur se dessine sur ses lèvres charnues et il tente de ne pas croiser le regard de Rain, trop perturbé par tant d’émotions intérieures.

« Comment j’ai pu ne pas me rendre compte de la similitude… »

Il parle à lui-même, mais elle peut l’écouter, elle peut ainsi entendre ses plus profondes pensées données de vive voix ce soir. Il se maudit presque de n’être qu’un idiot, de ne penser qu’à sa personne, de ne pas voir à quel point il lui manquait une partie de lui pendant tout ce temps. Etait-ce donc Rain, cette partie qui manquait à son existence, pendant tout ce temps ? Heathcliff ne saurait dire. Heathcliff ne sait plus trop quoi penser. Il a juste agit comme bon lui semblait en l’embrassant. Il a juste agit comme bon lui semblait en comprenant que Rain était Ha Neul, sa petite Ha Neul, celle qui adorait la petite Yoon, la petite sœur de Heathcliff.

« Si… Si tu te rappelles… Si tu es bien Ha Neul, tu dois te rappeler de.. Katheryna. Fin… Nae Mi, c’était son nom coréen… ? »

C’était la première fois depuis des années qu’il n’a pas prononcé son nom. C’était la première fois depuis des années qu’il n’avait pas parlé d’elle de vive voix sans se torturer l’esprit à te rappeler de tous ses souvenirs, et de l’idiotie dont il a fait preuve en ne la sauvant pas, en la laissant périr, en n’étant pas auprès d’elle. On a eu beau lui rabâcher que ce n’était pas sa faute, il n’écoute pas, il s’est toujours morfond sur son sort et s’est promis de n’être plus jamais le même. C’est peut-être la raison pour laquelle il se comporte de cette manière avec toutes les filles qu’il rencontre, avec Rain, sa jolie petite Rain, fille de Déméter, qui arrive pourtant à lui tourner la tête depuis l’épisode de la forêt, depuis qu’il l’a sauvé et qu’il l’a observé.

« J’ai beau essayé de comprendre, pourquoi… pourquoi seulement maintenant je me rends compte que tu es cette petite fille ? Pourquoi… aujourd’hui ? »

Peut-être en avait-il seulement besoin, et le destin le lui offrait enfin.

« Et… Ne… t’inquiète pas pour Aliénor, on a rompu il y a à peine hier. C’est… l’une des quelques raisons pourquoi je suis autant amoché, mais peu importe. »

Il soupire et son regard plonge dans celui de Rain, cherchant à comprendre, enfin, pourquoi il s’est toujours senti aussi attiré par elle, s’est toujours senti obligé de la taquiner et lui rendre la vie difficile.

« Je m’excuse… D’avoir été un piètre mentor, et un… un connard. »

Il n’aime pas que l’on s’occupe de lui. Il déteste qu’on le soigne, ou qu’on prenne soin d’apposer de la pommade sur ses blessures les plus profondes. Pourtant, les doigts de la jeune femme s’attèle t’entourer d’un bandage, l’entaille sur ton avant-bras droit, et il réprime un frisson. Jamais encore il ne lui est arrivé de ressentir des frissons, des décharges électriques dans son échine quand une femme le touchait. Un simple frôlement arriverait à lui faire manquer un battement de cœur. Il la scrute légèrement, perdu dans ses pensées. Sa longue chevelure retombe dans ses yeux délicieux et Heathcliff fait une légère moue avant de fermer les yeux, suite à un picotement intense dans une des écorchures qui parsèment les pommettes rosâtres de son visage. Jamais encore il n’eut pu l’observer de si près, et la douceur de ses doigts rappelaient ainsi à Heathcliff les quelques gestes tendres que sa petite sœur avait tendance à lui offrir quand il se blessait avec un couteau ou en vélo, dans l’allée de l’école jusqu’à leur appartement. Heathcliff s’en rappelait comme-ci c’était hier, le jour où il rencontrait la petite Ha Neul, la jeune femme qui aujourd’hui se trouvait face à lui, légèrement décontenancé par son état de contusions extrêmes. Un soupir s’échappe de ses lèvres, les doigts de la jeune femme soulage considérablement les brûlures et estafilades en tout genre sur les parcelles de sa peau découverte. Il frissonne. Un coup de vent est parvenu à déplacer la chevelure de jais de la jeune femme face à lui, et son parfum parvient jusqu’à ses narines. Un sourire, léger et doux, se dessine sur ses lèvres. La douceur de son parfum calme la douleur qui s’émane de son corps, et les frissons, les spasmes douloureux qui le traverse.

« J’sais pas. Des tonnes de trucs. C’est… C’pas si grave que ça quand on regarde bien mes… blessures… »

Il ne se rend pas compte de ses paroles quand il les prononce. Bien sûr qu’elles semblent graves au premier regard. Il revoit encore le visage horrifié de la jeune femme quand elle eut aperçu son bleu gravé au-dessus de sa pommette gauche. Son œil, toujours bordé d’un lambeau épais noir, semble mieux s’ouvrir, être beaucoup moins gonflé maintenant qu’elle y a passé une serviette froide pour abaisser la douleur qui t’empêchait de réfléchir correctement. Il inspire profondément une bouffée d’air, quand de légers picotements le sortent de sa torpeur. Son regard se lève vers le plafond, et il admire petit à petit le ciel noir parsemé d’étoiles. Le ciel est considérablement clair cette nuit, la lune brille, ronde et blanche comme une lumière époustouflante.

« C’est… C’est considérablement magnifique… La beauté d’un paysage, d’une nuit étoilée, pas… vrai ? »

Il change doucement de sujet, car il ne désire en aucun cas la remettre mal à l’aise. La retrouver, c’est déjà bien un miracle à ses yeux, alors il ne compte pas retrouver ce malaise, cette colère, cette haine qu’ils avaient l’un envers l’autre. Il se mord la lèvre doucement avant que sa main rejoigne celle de la jeune femme. Ses doigts longent son avant-bras jusqu’à son coude. Il se rappelle parfaitement l’écharde encastré dans sa douce peau blanchâtre, d’y il y a quelques semaines. Un sourire en coin, il relève son regard vers elle.

« Tu n’es pas une fille de Déméter pour rien, ne ? Ce n’était pas trop… J’veux dire… Je suis désolé. C’est de ma faute, après tout… Si tu t’es blessée dans la forêt et que… Bref. Pardon. Encore une fois. »

Quelque chose en lui ne lui indique pas comment agir normalement, correctement, sans bégayer, sans faire de gestes idiots. Heathcliff est bloqué. Mentalement, il cherche les réponses aux questions qui le turlupinent. Physiquement, il frissonne à chaque contact avec la peau de Rain. Mais savoir que Rain est Ha Neul ne lui permet en aucun cas de raisonner correctement, d’agir correctement, c’est pour cela qu’il recommence inlassablement de la toucher, de la torturer, de lui faire peur. Ses doigts se dérobent, distrait par ses pensées, il a encore agi sottement. Heathcliff enfile à nouveau son pull, en soupirant et lui jette un dernier regard.

« Et si… Et si on s’en tenait juste à discuter ? Je ne suis pas très doué pour les grands discours, m’enfin, je peux essayer, pour… pour toi. Raconte-moi… Raconte-moi comment tu t’es sentie quand tu as appris que tu étais la fille de Déméter… D’ailleurs, il t’arrive de parler avec les… animaux ? Well… A moins que tu veuilles rejoindre ton bungalow et te reposer. Tu as l’air… exténuée... »

« Oui, ça me rappelle les soirs où je regardais le ciel depuis notre appartement, à Omma et moi. Je m'amusais à les compter. J'étais persuadée qu'un jour j'arriverais à toutes les dénombrer. »

Oui il se souvient qu’elle ne ressent pas la douleur. Oui, lui aussi adore contempler le ciel parce que cela lui rappelle les nuits étoilés qu’il contemplait autrefois avec sa petite sœur. Il était encore jeune à l’époque, mais cela semblait si proche, comme si lointain à ses yeux. Un léger sourire se dessine sur ses lèvres et au fur et à mesure qu’elle parle, il se détend. Ses doigts se décrispent. Sa colonne vertébrale se détend. La boule dans son ventre ne perdure pas autant qu’il y a quelques minutes. La douceur de l’air frôle sa peau rougi et il soupire doucement, perdu dans ses pensées. Rain a beau être la petite jeune femme dont il devait s’occuper, il n’avait pas encore la chance de la connaitre particulièrement bien – si ce n’est, il n’eut pas le temps de simplement la reconnaitre. Rain Ha Neul Jeong. Si il avait su depuis le premier jour, peut-être que rien n’aurait été comme avant et peut-être que Heathcliff se serait adouci dès le début. Mais il n’en était rien. Le garçon au visage de marbre sans expression restait lui-même à longueur de journées, qu’elle vienne le taquiner ou pas, il ne comprenait pas d’où venait cette familiarité maladive qui s’ancrait dans son esprit comme un parasite impossible à chasser. Et puis, c’était bien commun. Quand une idée venait à Heathcliff ; il n’en démordait pas pour essayer de comprendre la profondeur de la chose.

« C’était la même chose… avec… ma petite sœur. On adorait contempler le ciel la nuit, on faisait des nuits blanches juste pour cela. Puis, je me rappelle, elle t’adorait. Vraiment beaucoup. »

Evidemment, il n’est pas commun qu’il s’ouvre aussi facilement à quelqu’un. Non, désormais, Heathcliff ne semblait plus être le même du fait qu’elle soit la fille qu’il a toujours cherché à revoir depuis des années. Ce qui était étonnant, c’est que son visage était pourtant distinctement le même, et cette façon de se coiffer, c’était tout à fait mignon et ravissant ; tout à fait… Ha Neul.

« Ne t'excuse pas. C'est pas grave. Rien de plus qu'une égratignure. J'ai toujours su contenir la douleur, tu te souviens ? »

Au fil des secondes qu’elle parlait, il la contemplait avec admiration. Pour ce courage et cette façon d’être elle-même, il l’admirerait presque si sa part d’Arès en lui ne provoquait pas un renfrognement orgueilleux sur son visage. Mais, il passait outre ; et souriait d’avantage à la jeune femme.

« Je me souviens, en effet.. Je me souviens distinctement de tout, maintenant.. c’est… »

Phrase inachevé et il soupire d’exaspération contre lui. C’est encore trop étrange pour lui pour parler normalement du passé et du présent, de faire le lien entre les deux et les entrelacer afin de la lier enfin à sa vie actuelle. Il rit nerveusement tandis que sa main toujours enfoui dans celle de Rain ne semble se détacher. Un froncement de sourcils serait presque près à franchir le seuil de son visage si cela ne lui paraissait pas étrange qu’elle recule vivement à ce contact anodin. Mais il ne dit rien, et l’écoute ainsi parler, captiver par sa voix et la façon dont son nez se plisse, la façon dont son regard s’illumine, la façon dont ses lèvres se meuvent quand un son s’y échappe.

« Ça ne m'a pas fait grand chose. Je le savais depuis le début en quelque sorte. Même lorsque tu habitais encore en Corée, j'en étais consciente. Certes, je ne pouvais pas mettre de mot dessus, mais j'étais née avec, alors ça ne m'a jamais... effrayée. Et je parle aux animaux. Tu te souviens du chien que j'avais ? Omma me l'avait acheté pour mon anniversaire et je venais toujours avec lui dans le parc. Il avait essayé de te mordre une fois. Il n'avait même pas de nom, ce chien. C'était pas vraiment nécessaire, il m'adorait et il aurait pu se jeter d'un pont pour m'obéir ET CE LAPIN ?! Il avait essayé de te mordre. T'avais vraiment pas la cote avec les animaux. Mais maintenant que je sais que... eh bien, que tu es un fils d'Arès ça ne me semble plus si étrange. D'ailleurs... ça fait longtemps que tu es ici ? Et tu as été reconnu... après combien de temps ? »

Un léger rire s’échappait de ses lèvres, et pour la première fois, on pouvait distinguer dans le regard de Heathcliff, une lueur de bonheur, qui n’était pas apparu depuis des années déjà. Le simple fait qu’elle lui parle, qu’elle ouvre son cœur et ses souvenirs à lui, cela lui réchauffait presque le cœur, à Heathcliff.

« Oh, pitié, tous les animaux veulent me mordre. Maintenant tu comprends.. fils d’arès, ne ? j’aurais jamais cru pour ma part… J’ai toujours voulu avoir un chat, mais Omma voulait jamais, alors du coup j’ai abandonné. Mieux. J’ai abandonné quand j’suis allée voir des petits chatons inoffensifs, et qu’ils m’ont montrés les dents, tu te rends cooompte ? Et euh… » Il balbutie quelques instants. « Ouais. J’ai quitté la maison. En fait… le… la bestiole… elle a tué ma sœur, tu vois ? et je me suis retrouvé ici. Et y a peut-être… trois ou quatre ans ? j’ai rencontré mon père. Pendant dix brèves secondes. Via un feu crépitant dans le cheminée là-bas, oui c’était ici même. Je m’étais battu avec un fils d’Athéna parce que j’avais perdu le combat, erm. Pendant le temps où je n’ai pas été reconnu, je vivais avec les hermès, comme toi. Tous ceux que je connaissais sont partis aujourd’hui, mais… voilà. »