QUE PENSES-TU DES DIEUX ET DE TON PARENT DIVIN ? Les dieux… Je n'étais ni pour ni contre. Maintenant je leur en veux, tous autant qu'ils sont. À quoi bon faire des enfants si c'est pour les abandonner ? En gros, les dieux sont des humains, l’immortalité et la toute-puissance en plus. Ils aiment se faire la guerre, se chamailler, se séduire parmi, et visiblement n’apprécient les mortels que pour quelques parties de jambes en l’air. Et nous en sommes les preuves vivantes. Je ne les vénère pas, et je les respecte autant qu'eux me respectent, c'est-à-dire très peu. Et puis... Que penser de ma mère sinon que je n'en ai pas? Elle doit être trop occupée à suivre le fil des saisons pour me reconnaître, mais après trois ans et demi, j'avoue commencer à lui en vouloir un peu. Et puis on aurait pu s'attendre, avec le scandale qu'elle a fait à cause de sa chère Perséphone, qu'elle aurait un minimum d'instinct maternel, non? Non. Si vous croyiez qu'être un demi-dieu; un héros était génial, détrompez-vous : cela nous condamne à une mort certaine. COMMENT TROUVES-TU LA COLONIE ? La colonie, au début, c'était la prison à ciel ouvert qui me privait de mon père, de mes quelques amis et de mon bout de terre. Mais j'ai compris son utilité. Elle me protège et me permet de protéger mon père, même si pour cela je dois rester loin de lui. Petit à petit, je me suis résignée, et j'y ai même vite pris goût. Je m'entraîne, encore et toujours, au maniement des armes et au combat. Finalement, la colonie, c'est censé être comme une famille. Et c'est devenu le cas. J'y ai trouvé des amis, une fratrie... QUELLE EST TON ATTITUDE FACE AUX MONSTRES ? Quand je me lance dans quelque chose, je ne baisse jamais les bras. Est-ce un défaut? Peut-être. Mais il me permet de garder les idées claires et de ne pas me laisser envahir par la panique. Les monstres, je n'en ai plus peur. Bien sûr, je ne vais pas aller en chercher un pour le plaisir de le combattre. Mais si l'occasion se présente, alors toute ma réserve est laissée de côté : j'évalue mes possibilités et laisse aller mes instincts. Je suis une demi-déesse, pas une brebis. Je rêverais de trouver un moyen de tous les tuer, définitivement. Mais ça n'est pas possible... QUE PENSES-TU DES ÉVÉNEMENTS ACTUELS ? Comme toujours, les problèmes se créent "là-haut", et ce sont les mêmes qui paient : nous. La disparition d’Harmonie m’inquiétait, mais je vous avoue que c'est devenu le dernier de mes soucis. Il faudrait la retrouver, la faire revenir, la sauver... Si tant est qu'elle n'est pas partie de son plein gré... Je l'aimais bien, Harmonie, mais considérant la nature des dieux je me demande désormais si elle n'a pas prévu son départ, histoire qu'on se fasse tous tuer par les monstres... Une bonne façon de contrôler la population des héros et d'en diminuer la quantité. Je ne sais pas, je ne sais plus. Est ensuite venue la Tour des Vents, encore un caprice de dieux que nous avons dû supporter... J'ai aidé à sa construction, je me suis fait un sang d'encre pour mes amis partis en quête, et la tour s'est construite. Pas un seul remerciement, si ce n'est le retour du beau temps. Et maintenant... Maintenant nous vivons les heures les plus noires que je n'aie pu connaître en quatre ans ici. Seuls, nous sommes fichus... Il faut retrouver Harmonie.COMMENT VOIS-TU L'AVENIR ? Peut-on vraiment parler d'avenir lorsque l'on est un demi-dieu et que les monstres nous poursuivent ? Je ne crois pas. L'avenir, je ne le vois plus, c'est un trou noir devant mes yeux, un trou noir nuancé de mort et de sang. Ne dit-on pas que tout héros connaîtra un destin tragique ? Ce n'est pourtant pas ce que j'avais prévu pour moi... Petite, je voulais vivre dans un monde de fantaisies. Mon père ne vieillirait jamais, et nous garderions la ferme pour l’éternité. Puis j’ai grandi… Et en grandissant, on m’a ouvert les yeux : la vie, c’est pas tout rose. J’ai donc voulu devenir une grande sportive : j’adorais la natation et l’athlétisme, et j’étais plutôt douée, puisque je ne pouvais pas tenir immobile. Mais finalement, je me suis découverte d’ascendance divine, fille d’une divinité grecque depuis longtemps oubliée qui elle ne s'est pas priée pour m'oublier. Alors non, je ne sais pas à quoi je me destine. Tenter de rester en vie, en tout cas. LES GOÛTS ET LES COULEURS NE SE DISCUTENT PAS J’aime le chocolat, les meringues à la crème, les tartelettes au citron. J’aime l’honnêteté, la loyauté et par dessus tout, j’aime me débrouiller seule. J’aime me reposer à l’ombre d’un arbre en été et l’odeur des troncs d’eucalyptus après un orage estival. J’aime aussi voir tomber la neige, et observer les étoiles le soir. J’aime la natation et la course, et j’aime donner le meilleur de moi-même dans les combats. J’aime m’entraîner, mais j’aime aussi profiter de mon iPod. Je voue littéralement un culte à AC/DC, à Bon Scott et aussi à Steve Lee. J’aime, vous l’aurez compris, les « vieux » groupes de rock. J’aime le Comte de Monte Cristo, Arsène Lupin et Robin des Bois. Et puis tant qu’on y est, j’adore les tulipes, elles sont bien plus originales et délicates que les roses.

Je n’aime pas les choux de Bruxelles, ni les brocolis. Je déteste que l’on ait tendance à vouloir me protéger sous prétexte que j’ai l’air d’une demoiselle en détresse, je n’aime pas non plus que l’on me prive de ma liberté d’agir ou de penser. Je n’aime pas voir un fort s’attaquer à un faible, et je ne peux pas éviter de m’interposer. Je n’aime pas l’hypocrisie et les tensions inter-bungalows. D’ailleurs, je n’aime pas devoir sacrifier une part de mes repas aux dieux qui se fichent de nous. Je n’aime pas non plus le feu. Ce n’est pas que j’en aie peur, mais cela me crispe et je m’en méfie.

On m’a déjà dit que j’étais belle. Belle, un peu comme ces anciennes poupées de porcelaine, fragiles, à la peau blanche et aux lèvres bien roses… Si délicate que l’on voudrait me protéger. Et moi, je déteste cela. Ce n’est pas moi. Je ne saisis pas vraiment comment les autres me voient, mais une chose est sûre : ils ne voient là que le négatif de la photographie. Mes sacrifices pour les dieux se résument simplement au strict minimum, et c'est vraiment parce que j'y suis obligée. Compter, ça peut me rassurer. Compter tout et n’importe quoi, mais pas systématiquement… Compter par exemple le nombre de raviolis qu’il me reste à manger, et si c’est un nombre impair, alors je m’arrange pour n’avoir, en une bougée, qu’un nombre pair, quitte à me débarrasser discrètement du morceau superflu… Le problème, c’est que cela m’est déjà arrivé de devoir compter le nombre de coups à recevoir avant de pouvoir frapper à mon tour. Mais mes crises de calcul se font – heureusement – de plus en plus rares, et personne n’est au courant. Si je suis stressée, et que je n’ai pas l’occasion d’aller évacuer mon stress en courant ou en m’entraînant, je commence à me tresser les cheveux. Des tresses de toutes les tailles et dans tous les sens, que je défaits ensuite rapidement pour recommencer avec mes doigts habiles. J’imagine que cela doit être agaçant pour les autres, mais je m’en fiche.

« Décrire Ivy ? C’est difficile… Tout d’abord elle est très belle. Je veux dire… Strictement physiquement, elle a l’air d’une poupée de porcelaine grandeur nature. Elle a de grands yeux vert-gris, de belles lèvres bien roses et un air très doux toujours fiché au visage. Comme pour parfaire le tout, elle a de longs cheveux brun foncé, limite noirs, et ondulés. Un peu plus et j’aurais envie de l’appeler Blanche Neige… Mais elle est comme l’eau qu’on tenterait de saisir au creux de nos mains : insaisissable… Elle n’est pas du genre à se mêler de la vie des autres, elle est d’ailleurs plutôt du genre discrète quand elle est seule. Même si, très souvent, on peut voir briller dans ses yeux une lueur déterminée, un peu comme le calme avant la tempête… Et depuis qu'elle est ici, la belle n'a toujours pas été reconnue. Depuis son arrivée, elle stagne chez les Hermès, mais j'imagine que ce qui l'énerve le plus, c'est qu'elle, elle connaît bien son parent Divin. Je ne l'ai encore jamais vue employer ses pouvoirs, mais j'ai entendu dire qu'elle s'éclipsait la nuit, quand personne n'était là pour l'observer, juste pour s'entraîner à les maîtriser. C'est un Hermès qui me l'a dit, mais de là à savoir si c'est vrai ou non... Ce que je sais c'est qu’elle passe le plus clair de son temps aux entraînements. Maintenant, on peut dire qu’elle est plutôt douée, s’aidant entre autres de son apparente fragilité – qui fait que beaucoup la sous-estiment – et de sa rapidité pour fatiguer son adversaire. À son arrivée, certains pariaient qu’elle était fille de Dionysos, folle au point de toujours mordre la poussière, se relever, et reprendre le combat, même perdu d’avance. Souffrir de blessures encore et encore juste pour s’entraîner un peu plus et gagner plus de pratique. Une fois, quelqu’un l’a tellement amochée qu’elle était obligée de s’aider de son épée pour marcher. Et même comme ça, elle a refusé de demander de l’aide, regardant au loin comme si elle se contrefichait de la douleur… La seule chose que je voulais faire, au début, c’était la retenir, l’empêcher d’aller sciemment se faire massacrer, arrêter son masochisme. Mais je crois que quelque part j’admire sa force de volonté. Elle refuse qu’on l’étiquette, et elle refuse d’abandonner. Si elle se lance, c’est très difficile de lui faire faire machine arrière. Pourtant elle a l’air si délicate… Mais comme on le dit si bien, il ne faut jamais se fier aux apparences. Je crois qu’Ivy, en fait, c’est un espèce d’OVNI… » Un demi-dieu à propos d'Ivy



- Ivy Kora Reynolds, je t’ai déjà dit de te tenir tranquille en classe !
- Pfffft.

La fillette brune, assise tout au fond de la classe cessa immédiatement de bouger, s’empêchant même de respirer pendant quelques secondes. Comptant jusqu'à cent avant de bouger à nouveau. C’était toujours comme cela : elle regardait par la fenêtre, avec un peu de chance elle trouvait un moineau à suivre des yeux, et c’en était fini de son attention. Elle avait d’ailleurs toujours été comme cela, à se déconcentrer constamment. Mais c’était surtout qu’elle voyait des choses que personne d’autre ne voyait… Elle voyait par exemple toutes les nuances de couleurs que le soleil couchant offrait au ciel dans leur mariage intemporel. Mais ça, personne ne le remarquait jamais. Elle se sentait donc toujours obligée de tenter de montrer ses trouvailles à son voisin de table qui bien sûr ne remarquait jamais rien. Pour ne pas s’endormir d’ennui, elle commençait ensuite à faire trembler ses jambes sous la table, et c’était souvent à ce moment-là que l’institutrice lui ordonnait d’arrêter ses bêtises. En cours, elle s’ennuyait. Les lettres, voulant probablement lui remonter le moral, se mettaient très souvent à danser devant elle, ce qui ne l’aidait pas pour la concentration. Elle détestait devoir lire à haute voix, c’était le moment le plus humiliant de la journée. Celui où elle mettait en avant son incapacité à lire correctement plus d’une phrase. Celui où, sans avoir à lever la tête, elle pouvait les entendre ricaner entre eux. Alors, fière, elle s’arrêtait. « J’ai mal aux yeux depuis hier m’dame. » Mais personne ne la croyait jamais, ils préféraient penser qu’elle était un peu attardée. La pauvre, ce n’était pas de sa faute si sa mère l’avait abandonnée et que son père était paysan… Surtout qu’il était célibataire, n’est-ce pas honteux ? À Belleville, ça l’était. Les ragots allaient bon train sur cette petite famille atypique. Alors pendant les récréations, comme pour couronner le tout, personne ne voulait jouer avec elle, elle était bien trop bizarre. Mais cela, elle s’en contrefichait. Elle préférait rester seule dans son coin, à courir partout puis à s’arrêter, compter jusqu’à cent en sautant à pieds joints en l’air… Tout cela pour se fatiguer un maximum et être plus attentive en cours. Tout cela pour montrer que cela lui était bien égal de ne pas être acceptée et qu’elle préférait les ignorer… Parce qu'elle n'aimait que trois choses, du haut de ses sept ans. Nager. Courir. Aider son père à la ferme. Et les autres pouvaient bien se moquer d'elle qu'elle s'en fichait. Pour son anniversaire, Papa lui avait offert une partie du terrain qui était à eux deux, lui expliquant qu'elle pourrait en faire ce qu'elle voulait. Probablement le plus beau jour de sa vie. Elle adorait la ferme. Les mardis et les jeudis, jours de la semaine où elle n’avait pas d'entraînements, elle se dépêchait de rentrer le plus tôt possible, rien que dans l’espoir de pouvoir donner un coup de main à son père. Mais il ne la laissait pas diriger les machines, parce qu'elle était encore trop petite. Alors elle s'acharnait sur son coin de terre et y faisait pousser ce qu’elle voulait. Ce bout de terre, c’était un peu son jardin d’Eden. Il était juste à l’entrée, après le trottoir qui longeait la route. Mais il semblait encore plus vert et plus vivant que le reste du terrain de son père, à croire qu’elle utilisait un engrais spécial. Elle y faisait pousser tout et n’importe quoi : elle avait séparé le large rectangle que son père lui avait offert en deux parties : une partie « potager » et une autre fleurie. Il y avait là des tulipes de toutes les couleurs, mais ses préférées étaient bien sûr celles qui étaient tellement foncées qu'elles en étaient presque noires... Les Reines de la Nuit.



À quinze ans, elle continuait d’être mise de côté par ses camarades, étant même motif de blagues. Elle qui ne pouvait jamais tenir en place; elle qui ne réussissait pas à lire plus de deux lignes à haute voix sans s’emmêler les pinceaux… Elle était devenue une cible de prédilection. Pourtant, elle en avait assez de laisser couler. Habituellement elle se contentait de les ignorer, ce qui marchait relativement bien. Mais ça, c’était le plan de Joshua. Et Joshua n’était pas connu pour être celui que l’on laisse tranquille. Il avait même plutôt tendance à être celui qu’on ne lâche jamais, victime parfaite de bourreaux puérils. Il n’était pas méchant pourtant, Joshua. Il avait même tendance à être très drôle. Sauf que visiblement il bégayait tellement que personne ne se donnait la peine de l’écouter. Car c’est si facile de se moquer de plus faible que soi… C’est en tout cas beaucoup plus facile que de se regarder en face. Fatiguée, elle essora rapidement ses cheveux et se rhabilla. Son entraînement de natation s’était terminé plus tard cette fois-ci, et elle devait se dépêcher pour éviter d’avoir à inquiéter son père. C’est donc d’un pas rapide qu’elle quitta les vestiaires, prenant bien soin de ne rien laisser derrière elle.

Pour rentrer, elle devait longer le complexe sportif de l’école, marcher une vingtaine de minutes et elle serait arrivée. Et une fois à la maison, elle pourrait déguster le délicieux émincé de dinde sauce curry et riz balsamique que son père aimait lui préparer. Elle avait le sourire aux lèvres, et pouvait presque sentir le goût du souper auquel elle allait avoir droit, mais tout à coup, sans vraiment savoir pourquoi, elle se retourna sur elle-même, sur le qui-vive. C’est alors qu’elle se rendit compte qu’elle n’était pas seule, près du bâtiment de gymnastique. Non, il y avait contre le mur un petit groupe, à voir comme cela environ trois ou quatre personnes. Ils semblaient s’encourager, comme s’il y avait là l’événement du siècle. Elle en connaissait un ou deux, Carmichael et Alexander, ce qui ne présageait rien de bon. Tous deux adoraient maltraiter les autres, surtout les cibles faciles. Ils venaient apparemment de trouver un autre bouc émissaire, contre lequel ils se défoulaient à coups de poings et de pieds. Alors que son instinct de survie lui hurlait de fuir sans demander son reste, elle était incapable de rester là, immobile, sans rien faire. Non, après avoir passé une bonne partie de sa vie à faire comme s'ils n'existaient pas, elle en avait assez. Surtout que la personne au milieu avait l’air inconsciente. Peut-être était-elle déjà morte ? Silencieuse et rapide, elle se rapprocha jusqu’à n’être plus qu’à quelques mètres des brutes. Elle n’avait pas remarqué comme, d’aussi près, ils avaient l’air musclés. Mais avant d’avoir eu le temps de le regretter, elle sauta sur l’un des agresseurs, le poussant au sol grâce à son élan.

Cela devrait donner un peu de répit à la forme qui ne bougeait plus au sol, mais en contrepartie, toute l’attention était désormais fixée sur elle. Carmichael, le brun, eut un sourire malsain et tenta de se rapprocher, alors qu’elle se relevait déjà et s’éloignait de quelques pas. Elle ne s’était jamais battue, alors elle passa en revue les rares gestes d’autodéfense qu’elle avait pu connaître, que ce soit lors de cours de sensibilisation aux agressions ou encore dans des films. Elle s’était mise dans un sacré pétrin. Ils étaient quatre, elle était seule. Ils étaient musclés, elle était fine, frêle, et fatiguée par son entraînement. Pourtant elle avait fait le bon choix : elle s’était interposée. Mais avant d’avoir pu se réjouir un peu plus, elle reçu un coup de la part de celui qu’elle avait jeté au sol. Ses si jolies lèvres étaient en sang, elle avait la tête qui tournait et la brute la regardait l’air mauvais. Mais cela avait fini de la mettre en fureur. Elle était debout, prit de l’élan avec le bras comme si elle voulait lui donner un coup de poing, mais, au dernier moment, lança sa jambe droite avec force droit sur l’entrejambe de l’agresseur qui tomba à terre de douleur. Un point pour elle… Trois restaient à mettre au tapis… Elle ressemblait à une brindille face à eux. Et elle serait bien heureuse si elle se sortait vivante du pétrin dans lequel elle s’était mise. Le gamin qu’ils frappaient plus tôt, voyant qu’il n’était plus le centre des attentions, détala sans demander son reste. Pour les remerciements, elle repasserait... Furieuse, elle en tremblait presque. Et alors qu'ils s'apprêtaient à l'encercler pour la mettre au tapis, l'improbable arriva : ils se retrouvèrent tous ligotés fermement au sol par des plantes. C'était officiel : elle venait d'entrer dans la quatrième dimension. Et dans cette dimension, elle venait d'ordonner à des plantes inoffensives en apparence d'attacher ses agresseurs. Normaaaaal... Sans plus réfléchir, Ivy se mit à courir comme jamais elle n’avait couru de sa vie, les abandonnant à leur sort.

Elle arriva chez elle, à peine essouflée. Son père l'attendait déjà à table, elle n'avait donc aucun moyen d'échapper à l'interrogatoire inévitable: « Qu'est-ce que tu as au visage? Tu es tombée? » « Mmh... Oui, j'ai trébuché dans les vestiaires. » Elle n'aimait pas mentir, mais elle ne voulait pas l'inquiéter plus que cela. Et si elle pouvait aussi éviter le passage "J'ai accidentellement ligoté des imbéciles rien qu'en y pensant très fort", c'était tant mieux. Mais visiblement son père avait envie de discuter aujourd'hui... Ils avaient toujours été un peu étrange les deux : ne parlant que quand il le fallait, se comprenant dans les autres occasions. À croire qu'il voyait que quelque chose ne tournait pas rond... C'est qu'il n'était pas idiot, son père. C'est en la servant de 7Up qu'il lâcha la bombe. « J'ai dû vendre la ferme. » Ivy manqua de s'étouffer. Ils allaient quitter leur petit coin de paradis pour une histoire d'argent ?? « Quoi?? » « Je ne savais pas très bien comment te l'annoncer... On va déménager à Oswego. » Elle ferma les yeux un instant, ne voulant pas y croire. Oswego... C'était les États-Unis, ça. C'était d'où il venait. Étrangement, quitter ses camarades ne la dérangeait pas plus que cela, elle avait même plutôt hâte. Le seul qui lui manquerait un peu allait être Joshua... Et aussi son jardin.



C'était l'été de ses seize ans. Elle était en vacances, son père n'était pas là et elle avait décidé de sortir un moment dans le champ qui entourait la maison. Elle y avait passé tous ses après-midi, et ce jour-là ne faisait pas office d'exception. Le soleil se couchait déjà, inondant le ciel de reflets rougeâtres. C’était souvent à ce moment-là que la jeune femme reposait le livre qu’elle tentait de lire – sa dyslexie s’étant nettement péjorée depuis qu’elle était arrivée aux Etats-Unis – et s’allongeait dans l’herbe fraîche pour observer le ciel changer de couleur pour enfin laisser place à la lune et à ses admiratrices, les étoiles.
Elle adorait ce coin : il y avait ce champ, où elle s’était allongée, qui sentait bon l’été, et un peu plus loin, il y avait la forêt. Cette forêt, qui ne faisait plus partie du terrain de son père, elle l’aimait particulièrement. Les grands arbres s’élevaient jusqu’aux cieux, comme d’immenses sentinelles qui seraient là pour la protéger et qui cachaient aux yeux des curieux le lac qui était en contrebas. Elle avait souvent nagé dans ce lac, compensant l’arrêt de ses entraînements de natation au Canada par ces heures de sport-plaisir. Et puis, même si elle n'arrivait toujours pas à s'y faire, elle s'était aussi entraînée à plusieurs reprises pour faire sortir des plantes de la terre, comme cela lui était arrivé une fois au Canada. Et, dommage pour son esprit rationnel, elle y était toujours parvenue...
Soudain, elle entendit quelque chose d’étrange, comme une sorte de troupeau se dirigeant dans sa direction. Mais en réalité il n’y avait aucun troupeau, et elle en était parfaitement consciente. Peut-être un voisin leur faisait-il une mauvaise blague ? Elle se releva, un très mauvais pressentiment lui pesant sur le cœur. C’est là qu’elle la vit. Une espèce de bête qui la fixait d’un regard noir et qui, apparemment, chargeait dans sa direction. Se laissant pousser par ses instincts, Ivy commença à courir dans la forêt, seul refuge qu’elle avait pu trouver. Mais les rugissements se rapprochaient de plus en plus. La jeune femme, quant à elle, courait à en perdre haleine, s’enfonçant de plus en plus dans ces bois qui n’en finissaient plus. Et elle entendait la chose lui courir après. Elle n’avait même pas eu à réfléchir, tout lui était venu instinctivement : la course effrénée, et les obstacles naturels qu’elle mettait en travers de la chose mais qui visiblement ne servaient à rien, sinon à retarder le monstre un peu plus. Elle n’avait pas bien regardé, mais la chose était gigantesque. Elle aurait presque été tentée de parier sur un taureau, mais c’était juste pour avoir une explication plausible et rationnelle de la situation. Or celle-ci s’avérait être tout sauf rationnelle : elle était poursuivie par une chose qui semblait être un mélange de plusieurs animaux depuis une dizaine de minutes, alors que juste avant elle était couchée tranquillement en train d’observer les étoiles. Et elle tentait vainement de la retarder avec des plantes qu’elle contrôlait. Il y avait effectivement plus réel comme situation. Mais elle était certaine de ne pas rêver… Oui parce que la chose en question, elle lançait du feu. Et qu’elle galopait vraiment vite dans sa direction.

Tentant d’analyser la situation calmement, comme son père le lui avait appris une fois, elle évalua ses chances de survie : pratiquement nulles. Elle avait bien tenté de ligoter les pattes de la bête avec ses plantes, de dresser branches et ronces sur le passage de la bête, et cela avait marché un certain temps, mais les plantes ne sont pas de bonnes guerrières contre le feu, aussi Ivy, pour éviter de se fatiguer plus que de raison, avait arrêté d’essayer. Il lui restait deux solutions : affronter la mort – solution qui ne lui plaisait que très moyennement – ou plonger dans le lac noir qu’elle connaissait si bien, en espérant que la chose lancée à sa poursuite aurait peur de l’eau. Ou bien simplement qu’elle ne puisse nager, du fait de ses quatres sabots… La jeune femme ne réfléchit plus une seconde de plus et plongea dans le lac noir, priant pour ne mourir ni d’hypothermie ni en servant de repas à l’espèce d’animal. L'eau serait son alliée... Elle nagea donc, allant là où elle n’avait plus pied, puis s’arrêta un instant, se permettant une petite pause de repos. Elle ne voyait presque plus la chose au loin, mais elle voyait bien que si elle retournait en arrière, elle risquait d’être dévorée vive ou pire, brûlée. Aussi elle fit ce qui lui parut le moins insensé sur le moment : continuer de nager en direction de la rive opposée, ignorant ses muscles endormis par le froid et la fatigue. Ignorer la douleur physique, ça elle s’y était habituée, à force d’entraînements de natation et de course… Elle repensa donc à son entraîneur à la piscine, et à tous les conseils qu’il avait pu lui offrir avant de partir à la retraite. Elle se concentra sur le mouvement de ses bras, et la coordination avec ses jambes. Brasse ; brasse… Inspire à fond. Brasse…

Finalement, comme arrivée en Terre Promise, elle atteignit le rivage et s’effondra, sans forces pour se remettre debout. Il lui fallait du repos. Mais dans ces conditions elle risquait de ne jamais se réveiller… La dernière image que son cerveau imprima fut celle d’une forme bipède qui se rapprochait d’elle en courant. « T’as été dure à retrouver toi… » Et ce fut le noir complet.

Elle se réveilla beaucoup plus tard, allongée sur un espèce de lit qu’elle ne connaissait pas. Elle avait les idées confuses, mais se souvenait nettement de la présence de feu dans son cauchemar. Puis elle regarda autour d’elle, et remarqua qu’ici, ils étaient tous habillés de façon étrange, comme venus d’un autre monde. Que certains avaient des jambes de boucs. Mais les satyres, ça n’est pas censé exister… Et elle en entendait d’autres murmurer entre eux, lui jetant des regards curieux « Fille d’Aphrodite tu crois ? » « … Nan, je pense pas. ‘Fin, on verra bien ! »
Elle devait être tombée chez des fous.